Page:Revue des Deux Mondes - 1851 - tome 11.djvu/980

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

que leurs affaires journalières ne retiennent pas dans la ville s’en éloignent à partir, du mois de mai. Ils se retirent dans les gorges de la montagne qui en est voisine, et sur les pentes de laquelle se dressent les tentes des fugitifs. Les Persans, comme en général tous les Orientaux ont beaucoup de goût pour la vie nomade. Méhémed-Châh lui-même l’affectionnait, et c’était pour lui un plaisir que d’aller habiter sa tente sur un rocher du Chimrân, au bord d’un petit ruisseau roulant sur des cailloux, à l’ombre de quelques saules. Il ne paraît pas que son grand-père Feth-Ali-Châh ait eu les mêmes goûts, car il avait fait bâtir, pour s’y réfugier l’été, un grand palais situé au pied de la montagne. Cette maison de campagne s’appelle Kasr-è-Kadjâr (château des Kadjars) ou Takht-i-Kadjar (trône des Kadjars). Le plan n’en est point sans grandeur, et les détails en sont remarquables. Les jardins sont en amphithéâtre, et plusieurs étages en terrasses auxquels on arrive par de nombreux escaliers séparent le château du parc, dont la végétation est d’une beauté surprenante pour un pays généralement aride.

Aux portes de la ville, il y a une autre résidence royale, inhabitée aujourd’hui, qu’on appelle Negâristân. Ce palais est remarquable par une salle sur les murs de laquelle est figurée la présentation au roi de Perse des ambassadeurs de France et d’Angleterre qui vinrent à la cour de Feth-Ali-Châh au commencement de ce siècle. Dans le fond de la salle, on a représenté le châh sur son trône, entouré de ses fils. Sur le mur de droite, on voit le général Gardanne avec quelques-uns des officiers ou attachés qui l’accompagnaient. Sur le mur de gauche est sir John Malcolm avec trois personnes de sa suite. Autour d’eux, dans diverses attitudes, les hauts dignitaires de l’état assistent à la cérémonie. Ces peintures sont d’une exécution assez médiocre, la perspective appliquée aux personnages ou aux objets y est mal comprise ; mais la couleur est d’une puissance et d’un relief qui prouvent que les artistes persans ont, à défaut de la science, qui s’acquiert, un vif sentiment de l’art, que le travail ne peut donner. Ils peignent d’inspiration et sans étude. Ils ne savent pas observer les distances et resserrer les détails dans un petit espace d’après les lois de la perspective. Poussés vers les arts du dessin par un goût inné, ils cherchent à imiter les objets isolément, sans se rendre compte des rapports qui existent entra eux. Aussi excellent-ils dans les ouvrages de détail : ils font par exemple, de petites peintures de fleurs ou d’ornemens qui sont d’une vérité et d’un fini exquis ; mais, aussitôt qu’ils sortent de ce genre pour représenter de grandes scènes, leur ignorance les trahit et fait tort à leurs qualités réelles, que l’étude n’a pas fécondées. Toutefois il faut convenir qu’il est très surprenant de trouver chez un peuple qui a si peu de contact avec l’Europe des productions aussi remarquables que les peintures du Negâristân.

Parmi les scènes de mœurs les plus originales et les plus curieuses