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certaines. La fluctuation continuelle de la population, les émigrations fréquentes dans toute la Perse, sont des causes d’erreurs qui rendent assez difficile l’application de la statistique aux populations de l’Irân. À ces causes il faut ajouter l’absence presque totale de tableaux de recensement ou d’états civils qui indiquent la naissance et la mort des citoyens. Ce manque de statistique officielle a mis en goût de calculs un peu trop ingénieux certains voyageurs qui ont voulu chercher, dans le nombre des moutons tués à la boucherie d’Ispahan, le chiffre approximatif de sa population. Il est impossible d’ajouter foi à un calcul établi, sur cette base. Outre que les Persans mangent peu de viande, il faut observer que la plupart des habitans sont trop pauvres pour s’en permettre l’usage, et ne mangent guère que du pain du laitage et des légumes. On ne pourrait pas davantage, se baser sur l’étendue de la ville ou le nombre des maisons. Si cette manière de procéder pouvait être certaine au temps de Châh-Abbas, alors qu’il appelait à lui la population et que Ispahan était florissant, aujourd’hui elle mènerait à l’erreur, car les cinq sixièmes des maisons ou des palais sont ruinés et entièrement abandonnés.

Malgré cette diminution considérable de la population, Ispahan n’en a pas moins conservé un aspect grandiose. On peut même dire que l’effet que cette ville produit aujourd’hui ne doit pas être moindre que celui qu’elle produisait au temps de sa plus brillante splendeur. En Perse, les maisons ou les quartiers abandonnés n’ont pas extérieurement et ne présentent pas à l’œil cet aspect triste et délabré qu’ils ont dans nos pays. Les maisons n’ont point de façade sur la rue ; rien n’est apparent, et tout ce qui contribue à en rendre l’habitation commode ou agréable, tout ce qui en fait le luxe se trouve à l’intérieur et caché derrière des murs qui bravent la curiosité du passant. Il en résulte qu’on peut s’y méprendre et parcourir certains quartiers d’Ispahan, sans se douter que les maisons en sont désertes et tombent en ruines. Le voyageur se fait encore plus aisément illusion quand il contemple de loin la ville et qu’il voit ses majestueuses mosquées briller étincelantes au-dessus des mille coupoles des bazars et d’un nombre considérable de palais ou d’habitations de toute sorte. Ce n’est qu’en pénétrant dans cette grande cité, où se meut trop à l’aise une population amoindrie, et en marchant au travers de ses rues solitaires, que l’on comprend tout ce qu’elle a perdu depuis la fin tragique du dernier des Sophis.

Les monumens les plus remarquables de la Perse moderne, surtout à Ispahan, ce sont les mosquées. Si l’on voulait juger de la dévotion des peuples par les frais d’embellissement qu’ils font pour décorer les lieux destinés à l’adoration de l’Être suprême, on ne pourrait se refuser à croire les nations de l’Orient éminemment plus religieuses que celles de l’Occident. En Europe, les palais des rois, les musées, les hôtels de ville les maisons des particuliers même, rivalisent de richesse