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1026 REVUE DES DEUX MONDES.

tions russes, ou restant inexpugnables dans celles qu’elles occupaient elles-mêmes, et poursuivant les opérations du siège le plus laborieux. Joignez à ceci les diflicullés qui naissent d’une saison déjà rigoureuse, les tempêtes de la Mer-Noire, qui menacent nos vaisseaux et troublent nos communications, toutes les fatigues et toutes les privations stoïquement supportées : il y a sans nul doute dans ce spectacle de quoi réveiller le sentiment de patriotisme le plus endormi, et, de tous les résultats de ce conflit, celui-là n’est pas le moidre. S’il y a une compensation aux maux de la guerre, elle est dans cette révélation émouvante de tant d’héroïsme naturel et intelligent, comme aussi en présence de tant de braves gens qui meurent obscurément à ce simple mot d’ordre : La France vous regarde ! on peut se dire qu’il n’y a qu’une grand cause qui vaille ces immolations sanglantes. C’est surtout dans cette dernière journée du 5 novembre, dans la bataille d’inkerman, que ces deux armées, fières de combattre et de mêler leurs drapeaux, ont montré ce qu’elles pouvaient et ce qu’il était donné à l’héroïsme militaire de notre temps d’accomplir. Tout indique dans ce combat, de la part de la Russie, une tentative extrême, dans la prévision d’un assaut qu’elle considérait comme prochain. Les généraux russes ont voulu évidemment, par un suprême effort, briser ce réseau de fer et de feu qui se rapprochait chaque jour de Sébastopol, en prenant l’offensive sur plusieurs points à la fois contre les alliés et en combinant une attaque extérieure avec une sortie de la garnison. Ils en avaient reçu l’ordre, dit-on, du tsar lui-même, qui avait envoyé ses deux fils, les grands-ducs Michel et Nicolas, pour assister à la délivrance de la ville assiégée. Des renforts nombreux avaient été expédiés sur Sébastopol, soit du Danube, soit des provinces méridionales de l’empire. Plusieurs divisions avaient été transportées en poste d’Odessa à Simphéropol. Les forces étaient considérables : elles s’élevaient au chiffre de soixante-dix mille hommes. Ce n’est point non plus le courage qui a manqué aux Russes, et, il faut le dire, c’est l’honneur de ce vieillard de soixante-douze ans, du prince Menchikof, de porter le poids de cette lutte, d’animer encore son armée de son feu et de son énergie. Le nombre et le courage des Russes sont venus échouer cependant devant l’inébranlable vigueur des soldats alliés, qui ont eu à soutenir le combat le plus inégal.

C’est le matin du 5 novembre, à la faveur d’un brouillard épais et sous une pluie qui durait depuis vingt-quatre heures, que les masses russes s’ébranlaient avant le jour, pour attaquer l’aile droite des Anglais, dont les positions avancées, malheureusement mal fortifiées sur les hauteurs d’inkerman, offraient peu de résistance, il en est résulté qu’au premier choc le petit nombre d’hommes intrépides qui défendaient ces positions n’ont pu que déployer un courage inutile. Bientôt cependant les division anglaises, au nombre de sept ou huit mille hommes, accouraient au combat, et alors la mêlée devenait générale. Il y avait des scènes terribles, des luttes corps à corps, des positions prises et reprises plusieurs fois. Les soldats anglais opposaient au nombre cette inébranlable solidité qui est leur génie militaire. Ainsi pendant plusieurs heures se prolongeait cette mêlée, où le duc de Cambridge lui-même était blessé, lorsqu’un hurra enthousiaste vint annoncer l’approche des colonnes françaises que le général Bosquet menait