Page:Revue des Deux Mondes - 1854 - tome 8.djvu/1036

La bibliothèque libre.
Aller à la navigation Aller à la recherche
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

C’est là en effet qu’en sont les choses en ce moment. L’Autriche n’a cessé de dire que l’année actuelle était consacrée par elle aux négociations, et que ces négociations une fois reconnues inutiles, elle était prête à agir. L’instant est venu, et il y a une raison bien simple de croire que l’empereur François-Joseph ne faillira pas à cette politique : c’est qu’il y va du crédit de l’Autriche. Le cabinet de Vienne a pu se faire un jour l’illusion qu’il accomplissait un acte sérieux par l’envoi des troupes autrichiennes dans les principautés. L’acte était sérieux en effet ; mais la retraite volontaire des Russes en diminuait immédiatement la portée, et depuis il n’a été rien fait. Non-seulement il n’a été rien fait, mais la Russie a pu se croire en assez grande sécurité sur le Pruth pour précipiter ses forces sur la Crimée, si bien que les armées alliées voyaient dans l’arrivée de chaque bataillon russe une défection de l’Autriche. Nos soldats se trompaient sans nul doute, ils ne comprenaient pas la diplomatie allemande, et ils étaient fort excusables ; cependant leur impression même dans sa vivacité était l’indice manifeste d’une situation qui ne pouvait se prolonger. Plus que jamais aujourd’hui il importe que toutes les forces disposées à entrer dans la lutte se réunissent et combinent leurs mouvemens. Tandis que l’Autriche se liera, comme nous n’en pouvons douter, avec l’Angleterre et la France, Omer-Pacha, de son côté, reprendra sur le Pruth des opérations qui, poussées avec vigueur dans un temps plus opportun, eussent été une diversion puissante. Des divisions françaises vont être envoyées, dit-on, dans les principautés pour marcher sur la Bessarabie, pendant que les armées de Crimée, renforcées de troupes nouvelles, pourront poursuivre leur laborieuse campagne. Ainsi se dessine la situation actuelle, au point de vue militaire comme au point de vue diplomatique. Le voyage récent de lord Palmerston parmi nous dans ces circonstances a eu certainement pour but de régler de plus près quelques-unes des conditions de la lutte où l’Angleterre et la France sont engagées ensemble. Les conditions financières par exemple ont pu être l’objet de combinaisons qui ne tarderont point sans doute à se révéler. Au surplus, toutes ces questions vont se poser de nouveau dans tout leur jour au sein du parlement anglais, qui va se réunir le 12 décembre, et le corps législatif français est convoqué lui-même pour la fin du mois. Avec des prérogatives fort inégales, les deux corps politiques vont se trouver en face du même problème de la guerre, avec toutes ses nécessités et ses impérieuses conditions.

Peut-être dans les deux pays, en Angleterre et en France, y a-t-il en ce moment une même pensée : c’est qu’on s’est fait d’abord beaucoup d’illusions sur ce qu’il y avait à faire, et qu’il faut aujourd’hui redoubler d’efforts pour suppléer à ce qui a été négligé. Si ce n’était cette obsession puissante et permanente d’une grande lutte à soutenir, il est certain que la vie intérieure de la France resterait invariablement uniforme. Elle serait un composé de petits incidens, de préoccupations matérielles et de bruits de toute sorte qui ont leur retentissement naturel à la Bourse, où la spéculation hardie les exploite, où la crédulité les propage. Cette société française si souvent éprouvée retrouvera-t-elle le goût des soucis virils, de l’activité publique et des travaux qui élèvent le caractère d’un peuple au-dessus de la poursuite exclusive des bienfaits matériels de la civilisation ? Il faut le croire sans doute. En atten-