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titude politique des diverses classes de la société française se révèle avec une netteté singulière à quiconque a sérieusement interrogé leur histoire particulière et leurs intérêts. Pour les classes moyennes par exemple, quels momens solennels que ceux qui suivent le serment du Jeu de paume ! Et plus tard, quelle noble et difficile tâche que celle qui commence en 1815, avec la restauration, pour être reprise en 1830, avec la monarchie de juillet ! Suivre ces classes, à travers leurs fautes et leurs victoires, de 1789 à 1848, c’est rencontrer sur sa route toutes les questions vitales dont la solution semble reculer sans cesse derrière les mobiles horizons de notre histoire. Une telle étude est de nature à séduire non-seulement ceux qui aiment le drame du passé pour les spectacles variés qu’il déroule et les émotions qu’il procure ; elle doit plaire aux esprits plus sérieux qui veulent y trouver des directions et comme des préceptes d’une application durable. Si l’histoire ainsi comprise provoque souvent des méditations qui ont leurs amertumes, elle a aussi ses hauteurs où le courage se retrempe, et ses grandes perspectives qui élèvent l’âme en la calmant.

C’est une satisfaction de ce genre qu’a cherchée M. de Carné dans l’étude de la révolution française. Nos lecteurs n’ont pas besoin qu’on leur rappelle la série de travaux où le rôle de la bourgeoisie, à toutes les phases de la révolution française, a trouvé dans M. de Carné un juge si équitable et si pénétrant. Ces travaux forment aujourd’hui un livre qui est au moment de paraître[1], et dont l’auteur indique l’unité dans une introduction éloquente. Résumer ici les idées qu’expose et développe cette introduction, ce sera donner l’idée la plus complète de l’ouvrage qu’elle précède, et la série publiée dans cette Revue trouvera comme son complément naturel dans les citations i qui’s’ajouteront à notre analyse.

« En étudiant la révolution française dans ses phases les plus diverses, dit M. de Carné, une chose m’a surtout frappé : c’est la promptitude avec laquelle les principes ont toujours engendré leurs conséquences et le rapport immédiat des malheurs avec les fautes. Soit que des crimes sans nom aient été suivis d’expiations sans exemple, soit que des déceptions aussi humiliantes qu’inattendues aient succédé aux enivremens de la confiance et de l’orgueil, partout une corrélation directe se révèle entre les effets et les causes, entre la ruine des partis et les passions qui l’ont provoquée.

Le chantre du Paradis perdu se proposait comme but à lui-même de glorifier la Providence et de justifier les voies de Dieu devant les hommes. Telle sera certainement aussi, soit qu’ils la comprennent, soit qu’ils l’ignorent, la mission des historiens de la révolution, car il n’est pas d’époque où les grandes justices d’en haut aient été exercées d’une manière plus visible, où les peuples se soient plus manifestement préparé leurs propres destinées.

« Un autre caractère de ces temps si obscurs et si troublés, c’est de confondre le bien et le mal, d’enlacer l’erreur avec la vérité au point d’en rendre la distinction très-difficile, de telle sorte qu’à moins d’une grande droiture de cœur et d’esprit, on se trouve conduit à tout consacrer ou à tout maudire. La révolution n’est pourtant ni une panacée ni une boîte de Pandore. C’est

  1. Études sur l’Histoire du Gouvernement représentatif en France, de 1789 à 1848, par M. L. de Carné, 2 vol. in-8o, chez Didier.