Page:Revue des Deux Mondes - 1854 - tome 8.djvu/1044

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

une force mise en mouvement par les inspirations les plus diverses, et qui dans ses résultats pratiques a été à la fois et très féconde et très stérile. Elle a été féconde, lorsqu’elle a terminé dans la famille et dans l’état l’œuvre d’unité politique et de fusion sociale à laquelle avaient concouru à leur manière et à leur tour Louis IX comme Louis XIV, Suger comme Richelieu. Elle a été stérile, lorsqu’au lieu de s’inspirer de la pensée chrétienne, par laquelle s’était développée durant mille ans la nationalité française, elle a prétendu appliquer les paradoxes contemporains et puiser dans les livres d’une école le texte d’institutions éphémères…

« Distinguer ce que l’esprit de parti s’attache à confondre, expliquer par le jeu des passions et par la mauvaise conduite les extrémités trop souvent justifiées par la prétendue fatalité des circonstances, replacer autant possible les effets sous la lumière de leurs causes, en restituant à chacun sa responsabilité tout entière, tel a été le but de mes Études ; c’est de ce point de vue qu’ont été esquissés les divers tableaux qui retracent ce que je pourrais nommer les principales stations de la France durant sa longue et infructueuse poursuite de la liberté politique. »

Ces tableaux, dont l’ensemble forme le livre même, M. de Carné en indique ensuite les traits principaux. Il montre d’abord la bourgeoisie au lendemain du 14 juillet faisant passer ses colères avant ses intérêts véritables, et se tournant contre la royauté au lieu de se fortifier contre les redoutables auxiliaires qu’elle a recrutés dans les clubs de Paris. Cette première faute entraînera une série de punitions qui, commencée avec le 10 août, continuée avec la chute de la gironde, ne s’arrêtera pas même après la terreur. L’état de la France au moment où triomphe la réaction thermidorienne ne permet plus en effets les hésitations, les tâtonnemens, qui ont compromis la victoire des classes moyennes. Cet état est vivement caractérisé par M. de Carné.

« La terreur finit comme elle avait commencé, par un calcul de l’égoïsme et de la peur. Les hommes de thermidor ne valaient guère mieux que les hommes de septembre ; mais ils se trouvaient avoir alors un intérêt aussi pressant à renverser l’échafaud que ceux-ci en avaient eu à l’élever. Le sort des victimes touchait peu des tigres tout entiers au soin de s’entre-dévorer, mais il fut donné à la France de respirer un moment pendant la lutte de ses oppresseurs ; elle put donc, en poussant un cri de salut, se dégager du somnambulisme sanglant qui la livrait à ses bourreaux sans défense et sans voix, et la délivrance de l’humanité sortit tout à coup de la victoire d’un parti.

« Mais cet affreux régime fut suivi d’une prostration plus humiliante et non moins désastreuse qu’il ne l’avait été lui-même. Moins épuisée par les blessures que par les scandales, par le sang qu’elle avait perdu que par les poisons qu’on lui avait versés, la France chancelait comme au sortir d’une longue orgie ; elle avait perdu la fébrile excitation d’une époque terrible en demeurant incapable de rentrer, par ses propres efforts, dans les conditions normales des sociétés civilisées. Une immoralité hideuse, un athéisme effréné, des institutions déguisées sous un appareil ridicule, le discrédit des hommes, la stérilité des choses, le désordre dans tous les pouvoirs, l’impuissance dans tous les partis, tels furent ces temps du directoire, durant lesquels se révélaient de toutes parts les signes d’une imminente dissolution sociale. La