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soit contre des révolutions intérieures, soit contre des envahissemens du côté de l’Occident. Un important écrit de M. de Reden[1] répond entre autres à cette erreur. M. de Reden, qui a publié récemment divers travaux de statistique très remarquables, émet sur la Russie, dans l’étude qu’il lui consacre, divers jugemens que les faits ont déjà confirmés en partie. Il nous montre que la disproportion qui existe en Russie entre les 300,000 milles carrés de pays incultes et les 75,000 milles qui ont réellement de la valeur force le gouvernement russe à gagner autour de ses vastes frontières des pays fertiles et accessibles à la civilisation. Or la Russie, après avoir vaincu la Suède, la Pologne et la Turquie, n’a actuellement en Europe que deux voisins puissans, l’Autriche et la Prusse. C’est une nécessité de sa politique de s’immiscer dans les affaires de ces deux états et d’empêcher leur union. C’est encore une nécessité pour elle de s’assurer des limites maritimes moins étroites que celles où se développent aujourd’hui si péniblement son industrie et son agriculture. Un préjugé malheureusement partagé par plusieurs gouvernemens de l’Europe consiste à voir dans les souverains de la Russie les défenseurs par excellence du système conservateur. La Russie a prouvé maintes fois que, pour atteindre un but politique, elle se sert volontiers des moyens révolutionnaires. Il entre même dans son système de provoquer des insurrections pour accomplir plus facilement ses conquêtes. Pierre le Grand avait déjà employé ce moyen contre la Suède. La Russie a-t-elle réellement d’ailleurs la force de soutenir cette politique d’agrandissement ? M. de Reden le nie formellement; il prouve que dans le cas d’une guerre longue et générale, les moyens de défense de la Russie ne seraient pas en harmonie avec ses besoins. En ce qui touche les finances de cet état, l’éminent statisticien est d’accord avec l’auteur du remarquable travail publié dans cette Revue sur les finances de la guerre. « Les finances de la Russie, dit M. de Reden, ne lui permettent pas de faire des sacrifices continus, et elle risquerait fort de jeter sa fortune publique dans une de ces crises dont les suites funestes se font sentir longtemps. Si l’immense étendue de ses frontières est un obstacle naturel à l’occupation par des troupes ennemies, elle est par la même raison un obstacle au développement de ses propres forces. » Ce qui rend doublement intéressant le résultat du livre de M. de Reden, c’est que l’auteur avait commencé son ouvrage longtemps avant la guerre d’Orient, et dans une pensée purement scientifique.

Suivons maintenant en Autriche ce mouvement de recherches sur la Russie, où l’esprit allemand dévoile si nettement ses haines et ses sympathies. Comparons avec les données de M. de Reden celles que nous trouvons dans une brochure anonyme intitulée : les Résultats de la première année de la guerre[2]. L’auteur constate que, même d’après M. de Haxthausen, qui est un des admirateurs les plus déclaré de la Russie, l’état social de ce pays est loin d’être rassurant. L’équilibre manque dans la répartition du travail, de sorte que l’agriculture produit plus qu’on ne consomme, et que l’industrie reste de beaucoup au-dessous des besoins du pays. Le paysan russe, pour se

  1. Russlands Kraftelemente und Einflussmittel (Élémens de force et moyens d’influence de la Russie), par M. de Reden. — 1 vol. in-8o, Berlin 1854.
  2. Cette brochure a été distribuée aux abonnés du journal viennois le Wanderer.