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Forcade comme le nœud de la crise orientale, — à savoir si l’Autriche et la Prusse iront jusqu’au bout avec la France et l’Angleterre, — doit être retournée, et qu’on doit se demander si les puissances occidentales iront jusqu’au bout avec l’Autriche. Un pareil doute, il faut en convenir, est assez étrange, et nous le notons comme un symptôme des inquiétudes persistantes dont quelques esprits en Allemagne ne savent pas encore se dégager. Le même publiciste fait remarquer qu’il y a vingt-cinq ans, au moment où commençait le grand drame qui se déroule actuellement, M. de Metternich conduisit seul pendant neuf années la lutte diplomatique contre la Russie, et qu’abandonné par la politique des cabinets des puissances occidentales, il dut céder à la force. Il explique par cet antécédent la politique expectative que l’Autriche observe actuellement. Il cherche ensuite à prouver que l’Europe ne restera pas longtemps peut-être le seul théâtre de la guerre. La Russie et l’Angleterre se rencontreront probablement sur la route des Indes, et tout dépendra alors du rôle que la Perse adoptera dans ce conflit. Si cet état reste l’ami de l’Angleterre, il se produira peu de complications sur le territoire asiatique; mais si la cour de Téhéran se laisse gagner par la promesse de la restitution des provinces d’Érivan et de Schirvan, et si, par une ancienne antipathie religieuse, la Perse en vient à se battre contre la Turque, alors il pourra arriver que sous le puissant effort de l’Angleterre, on voie disparaître les faibles états qui se trouvent entre l’Indus et l’Ararat. On aurait à craindre ainsi dans l’avenir la ruine de la Perse, et l’auteur de la brochure autrichienne établit nettement l’intérêt qu’aurait l’Europe à la conservation de cet empire. Ce pays a une grande importance comme soutien de l’islamisme. Les Persans sont en quelque sorte les protestans du mahométisme, et les réformes seraient d’une réalisation beaucoup plus facile dans cette secte que dans celle qui domine en Turquie.

D’autres vues tirées de l’écrit sur les Résultats de la guerre montrent combien l’esprit allemand aime à élargir les horizons de la politique. Il ne serait pas non plus impossible, dit l’auteur, qu’un troisième allié vint dans l’Océan-Pacifique rejoindre les deux puissances maritimes, car il a le plus grand intérêt à mettre un obstacle aux tentatives d’extension que la Russie poursuit du côté du Japon et vers la côte occidentale de l’Amérique. Depuis quelques dizaines d’années, la Russie a sans grand bruit considérablement augmenté ses possessions d’Amérique; elle y a établi des forts, des mines d’or, de platine, de cuivre, de plomb et de houille; elle y a donné à son commerce de fourrures un essor considérable, et elle a fondé dans l’île de Sitka, sous le nom de Nouvel-Arkhangel, un établissement que le gouvernement des puissances unies regarde depuis longtemps avec jalousie. Cette île, dont la côte méridionale est visitée par le colibri des tropiques, tandis que ses côtes occidentales servent de refuge aux vaches marines de la Mer-Glaciale, a la position la plus favorable pour les transactions commerciales entre le nord et le midi; en même temps elle a pour la république des États-Unis une valeur inappréciable comme centre de la pêche qui s’exerce sur ces côtes. Il se pourrait donc que le gouvernement de Washington profitât de la première occasion pour s’emparer de cette île, ainsi que de tout le groupe des îles Kouriles. Dernièrement le gouverneur du Kamtschatka lui a déjà fourni un prétexte