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en ôtant aux Américains le droit de la pêche exclusive sur certaines côtés, et en faisant enlever un des navires de l’Union.

La question de l’intervention russe en Hongrie ne pouvait être omise dans la brochure viennoise. L’auteur prétend qu’en soutenant l’Autriche contre les Magyars, la Russie a agi dans son propre intérêt, car elle savait que l’émancipation de la Hongrie ne serait possible que moyennant une alliance avec les pays situés sur le courant inférieur du Danube. La constitution d’un tel état aurait rendu plus difficile encore toute tentative ultérieure de la Russie sur Constantinople. La Russie a du reste exercé en Hongrie une influence morale plutôt qu’une influence militaire, il n’y eut que treize mille Russes du général Paniutine qui combattirent sous le feld-zeugmeister Haynau; les autres, au nombre de cent quarante mille, restèrent sous le commandement du maréchal Paskiévitch. Cette armée, sans avoir été arrêtée par des combats sérieux, eut besoin d’un mois entier pour arriver de l’autre côté des Karpathes, sur la route d’Eperies jusqu’à Hatvan et dans les environs de Waizen. Sur le Danube et de l’autre côté de la Theiss, devant Komorn et Raab, près Szegedin et devant Temesvar, ce furent les armes de l’Autriche qui, après des batailles meurtrières, remportèrent des victoires longtemps indécises. Si le général Haynau n’avait pas eu l’avantage dans cette lutte décisive, Bem et Dembinski, forts de plus de soixante mille hommes, et ralliés à Goergey, que Paskiévitch, avec ses forces si considérables, n’avait pu arrêter, seraient redevenus les maîtres du pays. Malgré cette inaction des Russes, le maréchal Paskiévitch écrivit au tsar après la journée de Vilagos ces paroles superbes : la Hongrie est aux pieds de votre majesté, et l’ambassadeur autrichien qui à Saint-Pétersbourg protestait contre cette phrase n’était autre que le ministre actuel des affaires étrangères de l’Autriche, M. le comte de Buol-Schauenstein.

Nous ne savons pas jusqu’à quel point ces récriminations de l’Autriche contre la Russie sont fondées dans la forme surtout que leur donne le publiciste viennois, mais il nous paraît parfaitement superflu de vouloir justifier la politique actuelle de l’Autriche par des antécédens qui dans tous les cas ne peuvent avoir assez d’importance pour être jetés dans la balance, quand il s’agit de l’existence même d’un grand état. Si les tsars ont appelé Constantinople la clé de leur maison, il ne faut pas oublier que cette clé pourrait ouvrir aussi l’antique résidence des anciens empereurs d’Allemagne. L’intérêt autrichien est donc manifestement lié dans la crise actuelle à l’intérêt occidental, et pour la Prusse la situation est la même. C’est la conclusion à laquelle conduisent tous les écrits politiques que nous venons d’interroger. Nous gardons l’espoir qu’après de longues hésitations la Prusse saura enfin adopter une politique plus énergique. Son gouvernement est trop éclairé pour vouloir songer à lier ce peuple à la fois sage et libéral à la cause de la Russie, si éminemment antipathique à la nation allemande. Sans doute la rupture avec un ancien allié lui sera douloureuse, mais il y a des nécessités devant lesquelles doivent disparaître toutes les considérations d’un ordre secondaire.


Dr BAMBERG.


V. DE MARS.