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M " DE MALEPEIRE

I.

Quand j'étais au collège, — il y a de ceci trente ans et plus, — j'allais chaque année passer une partie de mes vacances chez un oncle de ma mère, lequel habitait une jolie maison de campagne dans la haute Provence, à quelques lieues de la frontière du Piémont. Cet oncle était un ancien bénédictin tout pétri de science et nourri d'in-folios; on s'accordait à dire qu'il aurait été une des gloires de la savante congrégation de Saint-Maur, si la révolution ne l'eût chassé de son couvent lorsqu'il achevait à peine son noviciat. Dom Gérusac, comme on l'appelait encore dans la famille, n'avait guère que vingt-cinq ans lors de la promulgation du décret qui rompait ses vœux religieux; mais il ne profita pas du bénéfice de cette loi pour rentrer dans le courant des choses humaines. Il n'essaya pas non plus de retourner à la vie monastique, et n'alla pas, comme la plupart des membres de l'ordre, reprendre dans quelque couvent i d'Espagne ou d'Italie l'habit de saint Benoît. Quand l'orage révolutionnaire fut un peu apaisé, il réunit les débris de l'héritage paternel, et se réfugia sur un coin de terre qu'il appela Saint-Pierre de Gorbie, en souvenir de la célèbre maison où il avait passé les premières années de sa studieuse jeunesse. Ce petit domaine était pour ainsi dire caché dans un pli des Alpes, sur le versant méridional de cette chaîne de montagnes qui va s' abaissant graduellement jusqu'à l'embouchure du Var. C'était un site tout à la fois sauvage et riant; la maison, bâtie sur une petite colline, était dominée par d'immenses TOME VIII. — 13 DÉCEMBRE 1854. 67