Page:Revue des Deux Mondes - 1854 - tome 8.djvu/1240

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L’intérêt essentiel du traité, on le conçoit, est dans les bases de paix qu’il pose comme le point de départ de l’alliance. Ces bases sont les garanties du 8 août. Seulement, comme il eût été assez inutile de stipuler de nouveau ces conditions sans aucune sanction, si la Russie ne les a point acceptées d’ici au 1er janvier, non comme base de négociations, mais purement et simplement, les puissances contractantes devront convenir des moyens les plus efficaces afin de poursuivre le rétablissement de la paix, ce qui ne peut signifier qu’une chose en d’autres termes : c’est que l’Autriche, l’Angleterre et la France uniront leurs forces pour dompter les résistances de la Russie. C’est là, nous le croyons, le sens réel du traité du 2 décembre. L’alliance offensive et défensive peut n’y être point explicitement formulée, elle en est la conséquence naturelle dans le cas où la Russie n’accepterait point la question telle que l’Europe la pose aujourd’hui. Il se peut encore sans doute que l’Autriche n’agisse point à jour dit et à heure fixe : l’importance du fait n’en subsiste pas moins. En signant un traité qui consacre sa solidarité avec les puissances de l’Occident, qui rompt une alliance de quarante ans, qui s’élèvera toujours entre elle et la Russie, — qui pourrait dire que l’Autriche n’a point accompli un acte sérieux au point de vue de sa propre politique comme au point de vue de la politique générale de l’Europe ? Ainsi, en lui-même, eu égard aux circonstances actuelles, le traité du 2 décembre a toute la gravité d’un pas nouveau fait par l’Autriche dans la voie d’une action collective ; il fixe une date où cette action deviendra un fait nécessaire, et en fixant cette date très rapprochée, il précise, pour ainsi dire, l’heure où finit ce qu’on pourrait appeler la phase des garanties du 8 août. Cette heure passée, ce sera l’œuvre de la guerre de déterminer la mesure des concessions qui pourront être réclamées de la Russie.

C’est donc de ces conditions du 8 août, ainsi qu’on le voit, que tout dépend aujourd’hui, dans ce court intervalle laissé entre une guerre déjà cruelle et une lutte qui peut prendre un caractère plus ardent et plus général. On sait en quoi consistent ces garanties générales ; il reste à les interpréter, et les puissances signataires du traité du 2 décembre n’en sont point sans doute à s’entendre sur la valeur de ces stipulations, qui ont formé la base de leur alliance. Ce que veut l’Europe, c’est que la prépondérance exclusive de la Russie dans les principautés et sur les bouches du Danube, cesse d’exister ; c’est que le protectorat russe sur les populations chrétiennes de l’Orient, d’où est née la guerre actuelle, disparaisse en même temps. Ce qu’elle veut en outre, c’est la révision du traité de 1841, dans la pensée de garantir plus efficacement l’équilibre général du continent. Il suit de là que tous les traités anciens qui baient la Russie et l’empire ottoman sont virtuellement abolis. Il suit de là encore qu’il reste à créer dans la Mer-Noire un état de choses tel qu’il réalise la pensée formulée dans la proposition du 8 août. Comment cet état sera-t-il créé ? Ce ne peut être évidemment par l’abolition pure et simple du traité de 1841, ce qui n’aurait d’autre effet que d’ouvrir à la Russie les portes de la Méditerranée. Sera-ce par la réduction des forces navales russes, par la présence d’une force européenne dans l’Euxin, par la destruction de Sébastopol ? Toujours est-il que ce qu’on a entendu et ce qu’on entend encore, c’est la limitation de la puissance de la Russie dans la Mer-Noire.