Page:Revue des Deux Mondes - 1854 - tome 8.djvu/1251

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maintenant commencer sans doute, et alors, quelque soin que prenne le roi de soustraire les affaires extérieures à l’examen des chambres, il est difficile qu’il ne s’élève point quelque discussion sérieuse. Une proposition a même été déjà faite dans ce sens, sans trop de succès, il est vrai. Les affaires extérieures de l’Europe ont eu leur retentissement même dans le parlement piémontais, ouvert depuis un mois. A quelle occasion cette question a-t-elle pu être évoquée dans les chambres de Turin ? C’est au sujet du passage accordé sur le sol piémontais à un de nos régimens de cavalerie venant de Rome et retournant en France. M. Brofferio a cru devoir interpeller le gouvernement sur ce fait, dans lequel il voyait, avec une touchante sollicitude pour la Russie, une violation de la neutralité du Piémont. C’est là du reste une singulière et triste faiblesse de beaucoup de libéraux italiens et piémontais. Leurs tendances naturelles les inclinent forcément vers les puissances occidentales ; mais on dirait qu’ils craignent d’avouer leurs sympathies, parce que l’Autriche ne se sépare point de l’Angleterre et de la France, et parce que dès lors l’occasion d’attaquer l’Autriche deviendra moins facile. Au milieu des grands et universels intérêts qui se débattent, ils songent à leur intérêt particulier, à leur passion, au risque de mettre cet intérêt et cette passion en contradiction avec le but que l’Europe poursuit en commun. Nous n’avons pas besoin d’ajouter que le cabinet de Turin n’obéit point à ces suggestions. Tout en maintenant la neutralité matérielle, que le passage d’un régiment ne peut violer à cette distance du théâtre de la guerre, il n’a point hésité à manifester toutes ses sympathies pour la cause soutenue par l’Angleterre et la France.

Parmi tous ces pays, l’Espagne est le seul encore qui, en dehors des affaires générales, trouve dans les difficultés d’une situation mal apaisée de légitimes sujets de préoccupation. Un député disait récemment aux cortès qu’après la guerre d’Orient la révolution espagnole était l’événement le plus important du moment, le plus propre à fixer l’attention de l’Europe. Oui, certes il en est ainsi, l’Espagne le sait bien, et peut-être, si on la consultait, ne tiendrait-elle pas essentiellement à conserver ce privilège. Elle trouverait de plus sérieux avantages dans un état calme, régulier, où ses intérêts pussent se développer librement. Cet état est-il prêt à renaître pour l’Espagne après cet interrègne de tout ordre régulier pendant quelques mois ? Toutes les difficultés sont loin d’être vaincues sans nul doute ; il semble toutefois maintenant que la situation de la Péninsule tende à se simplifier et à se dégager des inextricables complications où elle a paru un moment plongée. Le fait le plus sérieux, le plus caractéristique aujourd’hui à ce point de vue, c’est que le congrès, abordant enfin cette grande question de la monarchie qu’on semblait tenir suspendue sur l’Espagne, l’a résolue nettement, simplement, en déclarant à une quasi-unanimité que la monarchie d’Isabelle II et de sa dynastie était une des bases fondamentales de l’ordre politique espagnol. La Péninsule a eu un grand malheur depuis quelques mois ; les passions factices se sont substituées à la réalité au-delà des Pyrénées ; c’est de là qu’est née cette mise en question de la monarchie, qui a tout tenu en suspens. C’était, on peut le dire, un véritable fantôme, non pas que les fantômes ne soient très dangereux ; on finit par y croire, pour peu que le rêve se prolonge. Le rêve.