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du mot de M. Dupin. Quoi qu’il en soit, raiicien président de l’assemblée législative l’entend ainsi. M. Dupin, du reste, rappelle dans son discours une parole récente de l’empereur, un fragment de dépêche du maréchal Saint-Arnaud ; il multiplie, dans ce langage familier et pittoresque qui lui est propre, les conseils d’hygiène à ses compatriotes de la Nièvre, les avis sur la culture des terres. Seulement, le discours n’ayant pas été prononcé devant son auditoire naturel et manquant son but spécial, on se demande à qui il s’adresse par l’impression.

Quant à l’allocution de M. Troplong, c’est une apologie des gens de campagne, qui ne pouvait certes mieux trouver sa place que dans une réunion d’agriculture, bien qu’elle prenne peut-être parfois dans l’expression un caractère un peu démesuré. M. Troplong explique presque notre histoire tout entière par le développement et l’intervention de ces simples et mâles populations rurales. C’est de là qu’il semble faire jaillir la vie et la puissance. La pensée du président du sénat ne dépasse point sans doute la limite d’une juste sympathie pour les habitans des campagnes. D’autres ne s’arrêtent pas en si bon chemin. Il est de mode, depuis quelque temps, de parler beaucoup des paysans, de les exalter, de les représenter comme la force suprême de conservation et de stabilité, comme la source unique de l’autorité sociale, comme l’élément de la civilisation. Ainsi qu’il arrive toujours, des faits exceptionnels se transforment en lois supérieures, en manifestations de la volonté providentielle. Que ne dit-on pas ! Les paysans seraient bien étonnés s’ils connaissaient les théories dont ils sont l’objet et le prétexte ; mais ils ont autre chose à faire qu’à s’instruire sur ce point : ils ont à vivre de leur vie laborieuse et rude, à cultiver leurs champs, à recueillir leurs moissons, quand ils peuvent. Chose étrange ! ne remarque-t-on pas qu’il y a une façon de prononcer ce mot de paysan, qui ressemble à la manière dont certains démocrates prononcent le mot de peuple ? Des deux côtés, paysan ou peuple, c’est le même être factice et mystérieux dont on se sert pour supprimer simplement tout le reste dans la société ; seulement le but est un peu différent, s’il est également chimérique. En France malheureusement, il en a été souvent ainsi : nos révolutions ont consisté moins à faire vivre ensemble les divers élémens sociaux qu’à proclamer leur incompatibihté et à les faire régner exclusivement tour à tour ; tantôt c’est la liberté, tantôt c’est l’autorité. Un jour c’est une classe qui revendique la direction de la société, le lendemain c’est l’instinct des masses qui est invoqué comme le créateur et l’inspirateur des pouvoirs. Tout cela a trouvé ses théoriciens avant ou après l’événement, pour en démontrer la légitimité par l’histoire, par les fins providentielles. Il n’y avait qu’une chose dont on ne tenait compte : c’était la réalité.

Ce fait seul suffirait peut-être pour marquer la différence profonde qui existe entre nos révolutions et les révolutions par lesquelles l’Angleterre est passée avant d’arriver à l’état où elle est fixée aujourd’hui, et c’est ce qui rend l’histoire du peuple anglais si instructive. M. Macaulay s’est plu, on le sait, à raconter une des plus grandes époques de l’Angleterre, en resaisissant en quelque sorte la génération des faits qui ont amené ce victorieux et définitif dénouement de 1688. L’œuvre de M. Macaulay méritait certes la