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popularité qu’elle a obtenue par l’animation du récit, par la finesse des portraits autant que par l’intelligence des événemens politiques qui fait le sérieux attrait de chacune de ses pages. Elle conserve cette vigoureuse couleur dans la traduction nouvelle que vient d’en faire M. Émile Montégut. C’est désormais une œuvre toute française. M. Émile Montégut est un des jeunes talens qui sont en voie de croissance, et qui ne peuvent que doubler leur force en prenant terre, pour ainsi dire, sur les faits. Il a le goût des idées, ce besoin de la nouveauté qui est le tourment des esprits hardis. Aussi s’est-il attaché, dans ses premières études, à des écrivains tels que Carlyle et Emerson, dont il a tracé de remarquables portraits et fait connaître les vues souvent singulières. Analyste pénétrant et sévère des dernières révolutions qui ont agité la France, des problèmes qu’elles ont soulevés, M. Montégut ne pouvait que gagner en se faisant l’interprète de l'Histoire d’Angleterre depuis Jacques II de M. Macaulay, en vivant dans une sorte d’intimité avec cette civilisation si réelle et si forte, en même temps qu’elle est si différente de la nôtre.

D’où naît donc l’intérêt de cette longue histoire de l’Angleterre couronnée par le mouvement de la fin du xviie siècle ? C’est que la réalité y domine partout depuis le premier moment où apparaît ce qui est devenu la constitution anglaise, — constitution elle-même née des faits, des mœurs, et qui est restée identifiée avec l’existence tout entière de cette étrange et vigoureuse race. Les luttes que soutient l’Angleterre n’ont rien de spéculatif, elles ne sont point l’effet de théories ingénieuses ou arbitraires qui cherchent à prévaloir et à changer capricieusement l’organisation de l’état. C’est au contraire au nom de ses vieux droits que le peuple anglais résiste au moment où il sent qu’il va glisser sur la pente des monarchies absolues, comme le reste de l’Europe. Son champ de bataille est cette frontière longtemps indécise, dont parle M. Macaulay, entre les droits du peuple et la prérogative du roi. La lutte s’engage sur l’imposition des taxes, sur le pouvoir de dispense, c’est-à-dire sur des questions représentant les intérêts les plus réels et les plus vivaces. Il y a sans doute, à mesure que la lutte se développe, des dechiremens profonds, des scissions sanglantes, des conflits où disparaît même un moment la monarchie. L’Angleterre cependant revient sur ses pas, retrouve son terrain et s’y établit. De ce caractère si réel, il résulte que les divers élémens de la société anglaise ne cherchent point à s’exclure mutuellement, ils vivent d’incessans compromis, reliés par un intérêt commun ; ils marchent ensemble au même but, et lorsque sous le faible Jacques II, l’église, le peuple, le parlement, tous les partis se sentent menacés, il s’accomplit par le fait même une révolution pacifique qui n’est la victoire d’aucune opinion, d’aucune secte, d’aucun homme, mais en quelque sorte la sentence de l’opinion publique se manifestant d’une manière invincible et inscrivant ses garanties dans la déclaration des droits. C’est ce que M. Macaulay appelle une révolution défensive. Encore même l’Angleterre s’efforce-t-elle de maintenir à cette révolution le caractère le plus régulier possible. En nommant un nouveau roi, elle ne fait que le placer sur un trône vacant par la fuite de Jacques II. Restant toujours d’ailleurs sur le terrain de la réaUté, l’Angleterre ne se croit nullement obligée, pour faire