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gramme a été précédée d’ailleurs d’une discussion qui n’a point laissé d’offrir quelque intérêt. Plusieurs hommes politiques de l’Espagne, MM. Gonzalez Bravo, Escosura, le général Infante, y ont pris part. En général, il ne s’est élevé aucun doute sur l’existence de la monarchie, sur la conservation de l’armée permanente, sur la nécessité de maintenir énergiquement l’ordre public. Un orage a éclaté seulement lorsqu’un orateur, M. Garcia Tassara, a dit que, seul, le parti modéré avait su faire du gouvernement ; M. Tassara voulait dire qu’un gouvernement ne pouvait vivre que par les idées libérales conservatrices, et c’est ainsi qu’il a expliqué sa pensée après les plus vives interpellations.

En vérité, la première parole de M. Tassara n’est-elle pas justifiée par les faits ? Voici deux mois qu’une révolution a éclaté au-delà des Pyrénées : quels ont été ses résultats ? quels sont ses bienfaits ? quelle est l’efficacité de l’action du gouvernement ? L’état de l’Espagne répond malheureusement sur tous ces points. L’effet de tout mouvement révolutionnaire dans la Péninsule, c’est de relâcher tous les liens politiques et administratifs. Chaque junte, chaque corporation populaire, chaque municipalité même se crée une façon d’indépendance et gouverne à sa guise ; c’est ce qui est arrivé, on ne le sait que trop, et c’est ce qui dure encore. Récemment, dans la province de Cacerès, un alcade prenait un arrêté pour interdire les réunions de plus de trois personnes dans les maisons, et de plus de deux personnes dans la rue, le soir venu ; il édictait des amendes, tout cela pour empêcher les dénigremens contre l’autorité et pour mille autres choses, ajoutait-il. Dans l’Aragon, le désordre a un autre caractère. Des négocians français sont allés acheter du vin dans le pays, et on s’est opposé au transport de cette denrée. On empêche les producteurs nationaux de vendre leur récolte, les étrangers de commercer librement, et il s’est trouvé à Saragosse des journaux démocratiques pour engager les Aragonais à persister et à boire leur vin. Mais un des traits les plus tristes de cette révolution, c’est une véritable curée de tous les emplois publics. Le ministre delà justice, M. Alonso, se distingue entre tous par son zèle de révocation. Des magistrats ayant de longs services, complètement étrangers à la politique, sont brutalement destitués, et si l’on s’étonne de ces faits, les partisans du ministre répondent que ces magistrats destitués sont en effet fort dignes, mais qu’ils doivent laisser la place à d’autres. Dans l’armée, depuis la révolution, il a été nommé plus de dix lieutenans-généraux, des maréchaux de camp et des brigadiers dans une proportion beaucoup plus grande encore. Nous ne parlons pas des officiers au-dessous de ce grade. Jusqu’ici, c’est là véritablement le grand résultat de la révolution, le résultat effectif, tandis que tout le reste est en paroles et en programmes. Nous faisons la part des embarras du gouvernement, de même que de ses bonnes intentions. Ainsi on ne saurait trop louer une circulaire du ministre de l’intérieur réprouvant hautement la conduite d’un agent électoral qui allait, dans certaines localités de l’Aragon, menacer les populations, si elles ne votaient pas pour les candidats du gouvernement ; mais cela même est l’indice du mal et des conditions étranges dans lesquelles vont se faire ces élections, d’où dépend cependant le salut de l’Espagne.

L’Espagne triomphera sans doute encore une fois des périls qu’elle tra-