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CHRONIQUE DE LA QUINZAINE.


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14 octobre 1854.

Un seul fait, une seule question domine l’opinion publique et suffit à la captiver. Quels sont les progrès de notre expédition dans la Crimée ? Sébastopol est-il pris ? La citadelle de la Russie dans l’Euxin est-elle tombée entre nos mains ? Telle est l’unique préoccupation depuis quinze jours, durant lesquels la parole a été aux événemens, aux nouvelles contradictoires, aux fausses joies du patriotisme surexcité, pour être maintenant aux regrets laissés par la mort prématurée du maréchal Saint-Arnaud, du chef vigoureux qui avait organisé la première victoire, sous le poids de laquelle il a succombé. Le débarquement des armées alliées sur les côtes de Crimée était à peine connu, qu’on annonçait déjà un avantage signalé obtenu par nos soldats dans leur première rencontre avec les Russes. Cette nouvelle était suivie presque instantanément d’un bruit plus surprenant encore qui venait éclater en Europe : c’était la chute de Sébastopol ! Il n’y avait point à en douter : un Tartare, un malheureux Tartare arrivé à Bucharest en avait apporté le récit authentique, transmis aussitôt à Vienne. La ville russe était sous la pointe de l’épée de nos généraux ; six vaisseaux de la flotte du tsar avaient été coulés, et le prince Menchikof menaçait de se faire sauter avec le reste, si l’attaque continuait ; l’armée russe tout entière était taillée en pièces ou prisonnière. Sans doute, en y réfléchissant, ces nouvelles étaient bien un peu promptes. Un débarquement en pays ennemi, deux ou trois batailles rangées, une place formidable emportée comme une ville ouverte, une flotte détruite, — tout cela accompli en quelques jours eût dénoté une audace singulière de la part des armées alliées ou une étrange faiblesse de la Russie. Il n’est pas moins vrai que tout le monde y a cru en Europe, même ceux qui n’y voulaient pas croire, ou qui auraient souhaité un tout autre résultat. C’est l’honneur de nos soldats d’avoir inspiré d’eux-mêmes cette idée, que rien ne leur était impossible, comme aussi c’est l’augure d’un succès certain. Pour le moment cepen-