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écrivait-il ; elle se soutient entre les souffrances, les crises et le devoir. Tout cela ne m’empêche pas de rester douze heures à cheval les jours de bataille ; mais les forces ne me trahiront-elles pas ? » Au moment où il s’exprimait ainsi, le maréchal de Saint-Arnaud n’avait plus que quelques jours à vivre : il était vaincu par le mal, et il mourait bientôt à bord du bâtiment qui le transportait à Constantinople. Le maréchal n’avait pas encore cinquante-huit ans. Quelque regret qui s’attache à une telle mort, nous ne savons vraiment s’il faut plaindre celui qui tombe ainsi en soldat, presque sur le champ de bataille, et en voyant la victoire lui sourire. C’est à coup sûr la plus belle fin qu’un homme de guerre puisse envier ; c’est la mort dans la gloire d’un grand fait d’armes. Le maréchal de Saint-Arnaud avait su, par son énergie, commander la confiance à cette armée qui marchait sous ses ordres. S’il n’a pu mener jusqu’au bout cette expédition qu’il avait habilement préparée et intrépidement conduite jusqu’à son dernier jour, le général Canrobert, qui lui succède, l’achèvera sans nul doute. C’est à lui maintenant de dénouer victorieusement cette campagne, dont l’issue exercera une incontestable influence sur les affaires d’Orient et sur la situation générale de l’Europe.

Quant à la France et à l’Angleterre, quelle que soit cette issue, il est peu probable qu’elles renouvellent aucune espèce de proposition de paix. La première condition de toute tentative de pacification serait évidemment l’acquiescement formel et explicite du cabinet de Saint-Pétersbourg aux garanties générales qui ont été déjà réclamées. Et ce n’est pas tout encore, puisque la campagne actuelle est de nature à introduire de nouveaux élémens dans les négociations qui pourraient s’ouvrir. Cela veut dire, si nous ne nous trompons, que les chances de paix sont très faibles, et qu’elles comptent à peine dans la balance au moment présent. Quant à l’Autriche et à la Prusse, une des plus curieuses questions peut-être, ce serait de savoir quelle influence réelle ont pu avoir sur leur situation respective les derniers événemens et même tous ces bruits de foudroyans succès qui se sont répandus un instant. Les événemens de la Crimée ont eu incontestablement pour premier résultat de resserrer les liens entre l’Autriche et les puissances occidentales. On ne saurait le conclure seulement du soin empressé qu’a mis l’empereur François-Joseph à faire féliciter notre gouvernement du succès de nos armées ; il y a un fait plus caractéristique encore, c’est l’attitude de la Russie vis-à-vis de l’Autriche. L’empereur Nicolas n’en est plus à dissimuler ses menaces ; il les laisse éclater par des mesures qui frappent le commerce autrichien, en attendant mieux. Le cabinet de Vienne ne l’ignore pas. Il sait bien que tout le rapproche de l’Angleterre et de la France. Ce qui le retient encore peut-être, c’est qu’il craint d’avoir à soutenir une campagne d’hiver en Pologne. L’Autriche n’aperçoit qu’un inconvénient qui lui est propre, — inconvénient qui lui-même s’efface devant l’avantage d’opposer à la Russie un ensemble compacte de forces pour lui dicter une paix délibérée en commun, utile à tous les intérêts, préservatrice pour toutes les situations. Du reste, les événemens qui s’accomplissent aujourd’hui ne peuvent que rendre plus sensible ce qu’il y a d’étrange dans les rapports de l’Autriche et de la Russie, et il est permis de croire que le cabinet de Vienne suivra les inclinations naturelles de sa politique. En sera-t-il de même de la Prusse ? Et quelles sont les inclinations