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point le plus vulnérable de la citadelle russe ; elles avaient conquis une base d’opérations solide, un port d’approvisionnement et de débarquement, et au besoin un abri sûr pour nos flottes. C’est à Balaclava, à ce qu’il paraît, que nos généraux avaient eu un moment l’idée de débarquer pour envahir la Crimée ; mais ils s’étaient arrêtés devant les formidables moyens de défense naturelle que la côte offrait aux Russes. La journée de l’Aima leur a ouvert le chemin par terre vers le même point. C’est là que le matériel de siège a été débarqué, c’est de ce côté aussi qu’ont commencé les opérations d’investissement, tandis qu’une partie de l’armée restait en observation, prête à combattre. Le signal de l’attaque a été donné enfin le 17 octobre par l’ouverture du feu, et chaque jour désormais ne peut que révéler les péripéties successives de ce conflit redoutable. La gravité d’une telle lutte ressort assez d’elle-même sans nul doute, et elle ressort encore plus, s’il est possible, de l’accroissement incessant des forces qui sont en présence. Les armées alliées n’ont point reçu seulement les renforts qu’elles attendaient de Varna et de Bourgaz : l’Angleterre et la France envoient de nouveaux soldats ; le corps d’occupation de la Grèce a été embarqué pour la Crimée ; les divisions turques ont été augmentées. L’armée russe, de son côté, s’est vraisemblablement accrue, et bien que les secours dont elle a pu se recruter aient été singulièrement exagérés, ils ne paraissent pas moins réels. Les forces du tsar restent donc assez considérables pour disputer une victoire et la faire chèrement acheter. Quoi qu’il en soit, les événemens qui s’accomplissent aujourd’hui dans la Crimée ont un rare et émouvant intérêt, parce que là est la lutte et là coule le sang de nos soldats. Il ne faudrait point cependant se faire trop d’illusion sur le résultat définitif de ces événemens : ils ne sont plus qu’un épisode dans la guerre actuelle. Militairement, ils ne terminent rien ; ils ne peuvent tout au plus que déplacer la lutte. Politiquement, ils ne peuvent que hâter la solution de toutes ces difficultés dans lesquelles s’embarrasse encore la diplomatie d’une partie de l’Europe. Plus on va en effet, plus la question se simplifie de manière à ne laisser place à aucune politique timide et irrésolue, à aucune de ces neutralités singulières qui ont la prétention de cumuler tout à la fois l’influence et l’inaction.

L’Europe, cela est certain, est pour le moment dans un état de crise extrême et décisive où elle ne peut rester longtemps en présence des événemens qui marchent, et c’est principalement vers l’Allemagne que se tournent encore tous les regards pour en attendre le mot qui peut décider des suites de la guerre actuelle. Depuis plus de six mois déjà, l’Allemagne travaille à se donner une politique, une volonté commune, en quoi par malheur elle a peu réussi jusqu’à ce moment. Depuis deux mois particulièrement, elle offre le spectacle de la plus singulière lutte diplomatique engagée entre l’Autriche et la Prusse devant tous les autres états allemands. Les dépêches se succèdent, et on dirait en vérité qu’elles n’ont point d’autre but que de donner lieu à des interprétations et rectifications mutuelles bien propres à tout obscurcir, si une parole nette et décidée du cabinet de Vienne n’était venue à propos dissiper toutes ces confusions calculées, en mettant une fois de plus à nu les indécisions de la Prusse. Nous n’avons pas besoin, au surplus, de rappeler l’objet de ces discussions diplomatiques, complétées aujourd’hui par une dernière dépêche