Page:Revue des Deux Mondes - 1854 - tome 8.djvu/592

La bibliothèque libre.
Aller à la navigation Aller à la recherche
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

lemagne. Après avoir encouragé d’abord le cabinet de Berlin à se maintenir sur le terrain indécis où il s’est placé, à paralyser les mouvemens de la cour impériale par une mauvaise volonté chaque jour mieux déguisée, ces cours, qui, par le plus singulier abandon de leurs alliances naturelles, s’étaient faites les auxiliaires de la politique prussienne, n’ont pas tardé à sentir que le désaccord des deux grandes puissances allemandes ne pouvait se prolonger et s’aggraver sans compromettre jusqu’à un certain point l’existence même de la confédération germanique. En effet, n’ayant pas réussi à ébranler la fermeté du cabinet de Vienne, les hommes d’état qui avaient prétendu rendre l’Allemagne indifférente en apparence au grand conflit de l’Orient et réellement hostile aux vues des puissances occidentales, se sont brusquement tournés du côté de la Prusse, pour opérer entre elle et l’Autriche un rapprochement, à défaut duquel ils voient bien que cette dernière ne prendrait plus bientôt conseil que de ses intérêts et de ses engagemens comme puissance européenne, abandonnant ainsi le corps germanique à ses divisions et à sa faiblesse. Tel est le but de la mission que M. von der Pfordten s’est donnée à Berlin, et à laquelle s’est associé avec moins d’éclat le ministre dirigeant du royaume de Saxe, M. de Beust. Au fond, cette tentative n’a rien de flatteur pour la Prusse, qui aimerait sans doute mieux donner l’impulsion que la recevoir, et qui a souvent prouvé qu’elle savait au besoin et qu’elle préférait s’entendre directement avec l’Autriche par-dessus la tête des puissances secondaires, dont l’importance la gêne et dont la médiation lui est importune. On éprouve aussi en ce moment à Berlin un autre mécompte assez sensible. Les petits états de la Thuringe, que leur position géographique et leurs affinités traditionnelles rattachent étroitement au système prussien, se sont cependant mis d’accord pour voter éventuellement avec l’Autriche à la diète, si la question du concours fédéral aux mesures que peut nécessiter la continuation de la guerre est posée à Francfort en vue de certains cas qu’il y aurait de l’aveuglement à ne pas prévoir dès aujourd’hui. Enfin il est évident que le terrain manque de tous côtés à cette politique d’indifférentisme iont la Prusse était sortie timidement, il y a quelques mois, par le traité du 20 avril, et dans laquelle elle est retombée, en essayant de la faire passer pour la politique des intérêts allemands, au grand préjudice de son influence en Europe, et (qu’on le croie bien à Berlin) au détriment de la paix qu’on y désire. Il est donc probable maintenant qu’après beaucoup de temps perdu, la Prusse cessera de contrarier en Allemagne la politique de l’Autriche, rapprochera son langage et son attitude des résolutions que la France et l’Angleterre maintiennent invariablement, et désarmera leurs légitimes défiances par des actes qui feront perdre à la Russie ses dernières illusions. Elle ne doit pas au cabinet de Saint-Pétersbourg le sacrifice de l’intérêt vital qui lui commande de conserver ses bonnes relations avec les puissances occidentales, car ce cabinet ne lui a pas fait la moindre concession depuis le commencement de la crise, et ne tient aucun compte des embarras que son injuste ambition cause à l’Allemagne entière. Il ne se soucie pas davantage des dangers de toute espèce auxquels il expose les gouvernemens allemands, et dont il serait impuissant à les défendre, si les esprits s’aigrissaient au printemps prochain. Cette situation est bien comprise par M. de Manteuffel, qui vient de