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immuables qui président aux conceptions de l’art dans tous les temps et dans tous les pays. S’il est un homme qui ait maintenu à la critique son caractère précis et exact sans la renfermer dans des limites désormais franchies, c’est M. Gustave Planche. Les Nouveaux Portraits littéraires qu’il vient de publier sont le fruit de la même pensée qui’a fait comparaître devant elle bien des œuvres et bien des hommes depuis vingt ans.

Dans cette laborieuse enquête ouverte sur la littérature contemporaine, M. Planche ne cède ni aux complaisances ni à l’esprit de divagation. Il ne demande pas à un ouvrage d’où il vient, à quel but secret il vise ; il lui demande ce qu’il est, ce qu’il vaut au point de vue de l’histoire, de la philosophie et des lois générales de l’art ; il l’interroge sur son caractère moral ; il arrête l’imagination là où elle n’est qu’une insulte à la raison. C’est ainsi que sa critique, exerçant une autorité réelle, est devenue un des plus incorruptibles témoins de la littérature actuelle ; et ce qu’il a fait pour la littérature, il la fait aussi pour la peinture, cherchant toujours dans la tradition non une entrave, mais un exemple et un idéal. M. Gustave Planche, il faut le dire, a été le trouble-fête de bien des triomphes complaisamment décernés. Ces triomphes sont passés cependant ; les bulletins de ces anciennes batailles existent encore, il y en a plus d’un dans les Nouveaux Portraits littéraires : qui avait raison du critique ou du poète ? Le malheur de notre temps, c’est qu’à une grande émulation de dénigrement il se mêle un ardent besoin d’apothéose ; on a quelque peine à comprendre l’indépendance sévère et ferme qui ne consent à plier ni devant les engouemens ni devant les vanités intéressées. S’il est des royautés littéraires de notre temps, ce que nous souhaitons fort quant à nous, ce sont du moins des royautés très constitutionnelles, qui ne peuvent gouverner que selon les lois de l’art et même du bon sens. Telle est la vérité que M. Gustave Planche a sans cesse rappelée et qu’il rappelle encore dans ces études variées, qui vont de M. de Lamartine à M. Victor Hugo, de Déranger au poète italien Giusti. La critique ne fait point sans doute éclore les œuvres de la pensée ; elle ne leur communique pas l’inspiration et la force, mais elle peut les préparer en ramenant les esprits au culte d’un idéal plus sévère et plus élevé, en leur montrant ce qu’il y a de fécond dans la poursuite de cet idéal.

Tout se tient d’ailleurs dans le domaine de l’imagination. Ce qui est vrai de la littérature l’est aussi de toutes les formes que peut revêtir l’inspiration humaine. Tous les arts obéissent aux mêmes lois et tendent au même but ; les moyens seuls sont différens. Ce n’est point certes par des procédés identiques que la littérature, la peinture, la musique elle-même, agissent sur les hommes ; elles se dénatureraient d’ailleurs par des imitations réciproques. La littérature qui viserait à une représentation matérielle des objets ou à un effet musical tout extérieur ne serait plus de la littérature, elle ne serait qu’un puéril caprice d’imagination, La peinture et la musique qui auraient la prétention de vivre d’une vie abstraite, d’entreprendre avec la pensée des dialogues de philosophie, risqueraient fort d’être incomprises, comme on l’a vu quelquefois. Chacune a sa sphère où elle est reine. Entre ces arts divers cependant, il y a un intime et mystérieux lien. Tous, suivant leur nature et dans la mesure de ressources inégales, ils tendent à la même fin, qui est d’ex-