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primer la vérité des sentimens, de réaliser un certain idéal de beauté invisible. Plus ils se rapprochent de cette vérité et de cet idéal, plus ils sont parfaits. La même impression ne semble-t-elle pas s’éveiller dans l’âme à la lecture d’une description magnifique, au spectacle d’un paysage de Claude Lorrain, ou en entendant la symphonie pastorale de Beethoven ? Le mérite de M. Scudo est de sentir cette merveilleuse solidarité, et de l’exprimer dans ces pages qu’il rassemble sous le titre de la Musique ancienne et moderne. Par-là, il se place à un point de vue élevé, il rend à l’art qu’il étudie son rang dans la civilisation intellectuelle, et il fait de la critique musicale une science ingénieuse et savante. Instruit de toutes les choses de l’art musical, familier avec toutes les traditions, doué d’un goût sévère et pur, M. Scudo réussit à rendre intéressante et attrayante une étude qui semble spéciale. Le secret » de cet intérêt consiste justement à ne point séparer la musique des autres arts d’imagination, à la rattacher sans cesse, au contraire, à tous les mouvemens de l’inspiration humaine, et ce procédé, il l’applique à la France, à l’Italie, à l’Allemagne. M. Scudo reconstruirait presque l’histoire de la civilisation allemande avec des symphonies et des oratorios, par la filiation des écoles. C’est ainsi que l’analyse d’un ouvrage musical et la biographie d’un artiste deviennent des portraits ingénieusement tracés ou des dissertations piquantes qui touchent à tout. Quoi donc ! la musique n’a-t-elle pas sa place même dans la politique, pourtant assez discordante ? Qu’on relise l’étude sur Mme Grassini, on verra comment les rivalités des chanteurs devenaient une des formes des luttes des partis en Angleterre, il y a moins d’un siècle. Chaque parti avait son artiste de prédilection. Sous la figure de Haendel et de Porpora, les deux directeurs rivaux, de même que sous la figure de Farinelli et de Senesino ou de Mme Grassini et de Mme Billington, les whigs et les tories poursuivaient au théâtre leurs luttes de la presse et de la tribune. Il y a même des cas où la musique réconcilie tout, — témoin la même Mme Grassini, qui réconciliait volontiers dans son admiration Napoléon et lord Castlereagh. Malheureusement c’est là un procédé qui, tout spirituellement raconté qu’il soit par M. Scudo, n’est pas complètement infaillible dans les rudes secousses de la politique.

La politique ne marche pas tout à fait ainsi ; elle a d’autres épreuves et d’autres incidens qui ne rentrent pas précisément dans cet ordre de considérations faciles. Les gouvernemens n’eussent-ils qu’à pourvoir à l’administration des intérêts permanens d’un pays, à la direction régulière et normale de ses affaires, ils auraient certes encore une œuvre laborieuse et pénible à accomplir. Qu’est-ce donc, lorsqu’il vient s’y joindre quelqu’une de ces crises qui font flotter à tous les vents la politique d’une nation, ou qui même en disparaissant, laissent des traces profondes ? Il y a peu de pays aujourd’hui qui n’aient passé par l’une de ces épreuves et qui n’aient vu s’accroître les difficultés de leur situation. Plus que partout peut-être, ces difficultés ont été grandes dans les États-Romains après les dernières révolutions, et il s’en faut que le gouvernement pontifical ait pu toujours les résoudre avec efficacité. Quelque gravité qu’aient toujours à Rome les questions politiques, les embarras administratifs et financiers ne sont peut-être pas les moins périlleux et les moins insolubles. Il y a une chose certaine,