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l’aboiement est chez le chien civilisé (qu’on nous passe le mot) une faculté acquise. Après le chien de la Nouvelle-Hollande viendrait le chien des Esquimaux, qui marque en quelque sorte le second degré de la croissance domestique. Si le chien de la Nouvelle-Hollande exprime dans son œil ardent, dans son allure sauvage, dans ses formes heurtées et dans ses mœurs grossières l’état social de la race la moins industrieuse et la plus abaissée de la terre, le chien des Esquimaux, dont tout l’instinct se borne, ou à peu près, à tirer des traîneaux sur la glace, manifeste les besoins d’une civilisation encore très peu compliquée, mais déjà capable d’approprier ses forces et celles du règne animal à un certain ordre de services. À la suite du chien des Esquimaux s’échelonneraient, dans leur ordre de dignité, des chiens appartenant aux peuplades barbares ou semi-barbares de l’Afrique et du Nouveau-Monde, puis aux civilisations arrêtées de l’Asie, telles que l’Inde, le Thibet, la Chine, la Perse. Cette série canine amènerait ainsi l’animal, successivement modifié, du type sauvage au type de nos plus beaux chiens domestiques, intendants de l’homme, compagnons de son travail et distributeurs de son action sur les autres animaux. La chaîne des progrès vivants se terminerait par le chien des États-Unis d’Amérique, qui bat le beurre, qui remplit dans la maison des fonctions variées, et dont les formes cultivées par l’homme dénotent une société laborieuse et supérieure.

Ce que nous proposons de faire pour le chien, on le ferait en même temps pour les animaux qui contribuent à notre système d’alimentation ou à notre industrie. Non content de confronter les espèces sauvages aux espèces domestiques, on établirait les degrés intermédiaires de la transformation. Les individus se succédant dans l’ordre de leurs instincts appris et de leurs services exprimés par leurs caractères extérieurs, on verrait le bouquetin ou l’œgagre devenir bouc, le mouflon devenir mouton, l’orops devenir bœuf, le sanglier devenir cochon, et cela en passant par des nuances qui exprimeraient toujours les influences exercées d’âge en âge par la main de l’homme sur le poil, la taille, les organes et les mœurs de ces animaux. Nous avons dit que la zoologie ainsi pratiquée ne serait plus seulement une science, mais qu’elle deviendrait en outre une histoire universelle. Quoi de plus évident ? L’homme a tout fait : il a commencé, si on ose le dire, par se faire lui-même ; puis à peine a-t-il eu ébauché les destinées de sa race, qu’il a poursuivi dans toute la nature les moyens de suppléer aux forces et aux organes qui lui manquaient. C’est alors qu’il a jeté les yeux sur le règne animal. Après avoir cherché seulement une proie dans les êtres vivants, il a imaginé un jour de leur demander des services. De ce jour, l’agriculture, l’industrie, les arts utiles et l’économie domestique sont nés. Amener quelques