Page:Revue des Deux Mondes - 1854 - tome 8.djvu/706

La bibliothèque libre.
Aller à la navigation Aller à la recherche
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

les facultés, que les espèces soumises contractent dans le commerce avec l’homme, se transmettent par voie de reproduction naturelle. Une sorte de progrès lent germe dans les organes de l’animal qui passe de l’état de nature à l’état domestique, et ce progrès, continué de génération en génération, dessine une nouvelle manière d’être. Cette tradition passive à laquelle participent, selon des degrés différents, tous les individus de la race, cette hérédité des caractères acquis justifie scientifiquement les efforts et les essais du genre humain pour introduire dans la création un règne animal à lui. Les artistes peuvent admirer, si bon leur semble, les formes primitives de ces animaux des forêts sur lesquels la main de l’homme n’a rien imprimé ; ’libre à eux de préférer même les espèces sauvages, expression farouche des forces aveugles de la nature, aux espèces domestiques, sur lesquelles revivent les traits des différentes civilisations du globe. L’économiste, lui, envisage les faits à un autre point de vue : il apprécie dans les animaux les organes qui se rapportent à un ordre de services déterminés ; il estime les formes vivantes dans le développement desquelles nous avons un intérêt. Pour l’économiste, l’animal qui travaille ou qui nourrit l’homme n’est jamais laid, il a la poésie de l’utile.

Nous venons de poser la loi, il nous faut dire maintenant pourquoi cette loi ne s’est point étendue à tous les membres de la famille zoologique. Des obstacles s’élèvent à la conquête du règne animal, et le premier de ces obstacles est dans la distribution géographique des êtres. La nature, au moyen des climats, a limité, circonscrit, localisé l’existence de chaque espèce vivante sur le globe. Hâtons-nous pourtant de le dire, cet obstacle, si sérieux qu’il soit, ne paraît point être invincible. Toutes les fois que l’homme a vu pour lui un intérêt considérable à s’emparer d’une espèce sauvage, il l’a fait, et les barrières topographiques, après un moment de résistance, se sont abaissées devant sa volonté persévérante. Jetez un coup d’œil sur le monde, et vous reconnaîtrez bien vite que l’ubiquité de tel ou tel animal domestique est en raison directe des services que cet animal rend à son maître. Les êtres organisés, dans l’état primitif, ne présentent pas tous les mêmes dispositions ni la même répugnance à la domesticité. Il y en a évidemment de plus rebelles les uns que les autres, soit à l’acclimatation, soit à l’apprivoisement ; mais quand l’utilité d’un animal est telle que les sociétés humaines n’auraient pu ni se fonder, ni prospérer sans lui, on peut dire que sa conquête est décrétée en principe. Si donc l’homme ne s’est point approprié les instincts et la chair d’un plus grand nombre d’animaux domestiques, il ne faut en accuser ni les climats, ni les températures différentes du globe, ni les mœurs primitives des animaux réfractaires ;