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l’industrie ait eu soin de préparer en quelque sorte les conditions géographiques de cette nouvelle résidence. Le renne est très répandu en Norvège, où l’on estime beaucoup ses services, soit comme objet de luxe, soit comme auxiliaire de l’homme, soit encore comme animal de boucherie. Pour amener ce froid habitant des glaces dans les climats modérés de l’Europe, il faudrait un système de transitions organisées ; sa race devra s’avancer d’étape en étape sur les bords de la Baltique ou de la Mer du Nord. Des jardins zoologiques conçus d’après cette idée, et réalisant du nord au midi une échelle mobile de températures, seraient seuls capables d’enrichir notre règne domestique d’un sujet si docile et si précieux. Anvers pourrait jouer vis-à-vis des animaux polaires le rôle que Marseille est appelé à jouer vis-à-vis des animaux de l’Afrique ; c’est un pied-à-terre où le renne viendrait se poser, après avoir passé par le Danemark et par la Hollande, et d’où il pourrait peut-être se répandre plus tard dans l’intérieur de la France. Le climat de la Belgique, surtout celui d’Anvers, est un climat peu favorisé du soleil, qui ne convient guère aux essais de naturalisation en ce qui touche les races du midi ; mais cette disgrâce elle-même deviendrait une condition heureuse et féconde pour la conquête des races du nord ( [1] ).

Notre régime alimentaire est pauvre, comparé surtout aux richesses vivantes que la nature a répandues sur le globe, et dont l’Européen, quoique le plus industrieux des hommes, ne s’est encore approprié qu’une très faible partie. Il serait trop long de passer en revue toutes les espèces exotiques de mammifères dont nos tables pourraient s’enrichir ; mais il en est une qui se recommande par sa grande taille, par l’abondance de sa chair et par la facilité de sa conquête : nous voulons parler du tapir américain. Le tapir est l’hippopotame du Nouveau-Monde, de même que le lama en est le chameau. Ce pachyderme compléterait la race de nos cochons domestiques, dont l’utilité est proverbiale. Une considération doit nous diriger non-seulement dans la conquête du tapir, mais dans celle du cabiai, de la vigogne, de la gazelle et de tant d’autres espèces inconnues en Europe, que réclament, soit notre économie alimentaire, soit notre industrie. Tous les animaux qui se sont laissé réduire à l’état domestique se sont considérablement accrus en nombre malgré les sacrifices imposés à leur race par nos besoins ; tous les

  1. On a un exemple de la rapidité avec laquelle la conquête du renne est capable de se propager, quand elle rencontre des conditions favorables. En 1773, treize rennes furent exportés de Norvège en Islande ; trois seulement arrivèrent au but de leur voyage. On les lâcha dans les montagnes, où ils prospérèrent et se multiplièrent tellement que, quarante ans après, il n’était pas rare de rencontrer dans plusieurs parties de l’Islande des troupeaux de cinquante à cent rennes.