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animaux au contraire qui ont persisté à vivre dans l’état sauvage diminuent de jour en jour. Quelques-uns même tendent, selon toute vraisemblance, à s’effacer du monde. À mesure que la civilisation s’avance sur le globe, elle refoule le règne animal. Les grandes espèces surtout ne peuvent se maintenir à l’état libre dans le voisinage des sociétés. Que l’Afrique et l’Asie suivent un jour l’exemple du Nouveau-Monde, que la hache du pionnier ouvre sur cette vieille terre un chemin à la colonisation, et les races sauvages auront à choisir entre ces deux alternatives, — passer dans le domaine de l’homme ou disparaître. En favorisant les essais qui doivent accroître le groupe de nos animaux domestiques, la science ne servirait pas seulement les intérêts de l’économie sociale ; elle ferait acte de conservation naturelle. Plusieurs races sauvages de ruminants, circonscrites dans des régions peu étendues, exposées aux attaques perpétuelles d’ennemis tels que le lion et le tigre, dénoncées comme la girafe par la grandeur de leur taille et par l’éclat de leurs couleurs, sont menacées de passer dans quelques siècles à l’état de races perdues, si elles ne cherchent une protection sous la main de l’homme.

Cette crainte n’est point chimérique ; elle s’appuie sur des faits. On a déjà l’exemple d’un animal qui s’est éteint depuis les temps historiques. Du dodo, grand oiseau à ailes courtes, découvert dans l’île de France, quand l’île de France était encore inhabitée, il ne reste qu’une description écrite, une jambe qui figure au British Museum, et une peinture qui a, dit-on, été prise sur l’animal vivant. Voilà donc un oiseau, qui, par suite de l’introduction de l’homme dans certaines contrées de l’Afrique, a été rejoindre les espèces perdues du monde antédiluvien. Le même sort paraît réservé à l'émeu et au kangourou ; l’un et l’autre se retirent rapidement devant les progrès de la colonisation en Australie, et si la science ne vient à leur secours en les acclimatant chez nous, ces deux animaux seront dans quelque temps, comme le dodo, extirpés du globe.

Il est un autre animal précieux pour l’industrie qui convoite sa peau, estimé à cause des qualités de sa chair, et qui, en raison même de ses services, semble promis à une extermination certaine, quoique plus ou moins éloignée : c’est le castor. Traqué par les Indiens du nord de l’Amérique, que la civilisation traque à leur tour, le castor échappera malaisément à la guerre qui lui est déclarée, s’il ne réussit à se faire adopter par son ennemi. L’homme n’adopte, il est vrai, les animaux alimentaires et industriels qu’en vue de les détruire ; mais cette destruction régulière, organisée, corrigée d’ailleurs par les soins de la reproduction, ne compromet point l’existence de la race, comme font les fureurs de la chasse et de la pêche. Si les