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en quelque sorte des fabriques de la science et de la vie. Les espèces domestiques, acclimatées ou perfectionnées, constituent en effet de véritables produits. L’homme agit sur les animaux, comme il agit sur toutes les matières premières ; il leur donne une destination, un but, une valeur ; il se montre en un mot, vis-à-vis d’eux, créateur d’utilité.

Il ne faut pas croire que les animaux dégénèrent en devenant domestiques. Pour la plupart de nos espèces acclimatées, l’éducation a été au contraire la source d’ornements nouveaux. L’homme a développé la taille, perfectionné la structure, accru l’énergie prolifique de la plupart des animaux soumis à son action immédiate et continue. Il est pourtant vrai de dire qu’après un temps de domesticité les races ont besoin de se retremper dans la nature. Nous avons vu en Belgique des porcs nés du sanglier et du cochon domestique, dont la taille, l’allure et la corpulence étaient remarquables. La race de nos dindons gagnerait à remonter vers sa souche. Les dindons sauvages de la Pennsylvanie sont de superbes et volumineux oiseaux dont les couleurs se sont éteintes et les formes amoindries en passant de l’état de nature dans nos basses-cours. Qui ne sait que les races humaines, après avoir traversé le progrès et la civilisation, ont de même un intérêt réel à se régénérer dans le croisement avec les races jeunes et primitives ? Les jardins zoologiques, ayant sous la main la plupart des types originels, pourraient de temps en temps renouveler le sang de nos animaux domestiques dans le sang des animaux sauvages. On s’est dégoûté de l’art pour l’art, on se dégoûtera de la science pour la science. Connaître et comprendre tout ce qui vit, c’est un charme sans doute ; mais se servir des ressources que nous propose la nature pour augmenter la force et la prospérité des nations, c’est un devoir.

À tous ces essais d’éducation, à ces tentatives de conquête sur la nature, il y a maintenant un obstacle qui s’élève, et cet obstacle est la découverte de la vapeur. Les lois du mouvement sont changées. Nous sortons de l’âge des bêtes de somme, et nous entrons dans l’âge des machines. Que sont le cheval, le chameau, le buffle, qu’est l’éléphant lui-même auprès de ces puissantes locomotives, créatures du progrès, animaux de l’industrie ? Cela souffle, respire, mange, rugit, s’agite ; cela vit. Il est à craindre que le nouveau règne mécanique ne détourne l’attention de l’homme et ne suspende la hardiesse de ses entreprises sur le règne animal. En France surtout, c’est une conséquence des progrès récents que de faire négliger les anciennes conquêtes. Tant s’en faut pourtant que cette concurrence des machines efface les services si réels et si sérieux des auxiliaires