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la neutralité de l’Allemagne, mais en réalité trop semblables à l’éternelle mouche du coche. Nous ne parlons pas de M. de Beust, dont l’ambition parait se borner à bien servir la Russie, et qui s’est donné une assez bizarre importance ; mais M. von der Pfordten n’a point, que nous sachions, le même genre d’ambition. Il vise à stipuler pour les états secondaires de l’Allemagne ; il est allé de Berlin à Vienne, et on s’est généralement demandé quel était le secret de cette mission, sans laquelle le monde allait sans doute péricliter ! Nous inclinerions fort à penser que M. von der Pfordten n’avait de mission d’aucune espèce, qu’il n’avait d’autre mission que celle qu’il s’était donnée à lui-même, d’aller visiter les cours de Prusse et d’Autriche. Tout au plus le président du conseil de Bavière a-t-il pu se faire à Vienne le défenseur officieux des propositions récemment émanées de Berlin, et s’il l’a fait, il a certainement reçu la réponse qui a été adressée à la Prusse elle-même. Que si M. von der Pfordten a jugé à propos d’élever la question des états secondaires, il est à croire qu’il aura su promptement à quoi s’en tenir ; — après quoi il sera revenu à Munich, et il aura sauvé l’Allemagne ! Pour tout dire, si le premier ministre de Bavière eût été un homme d’état sensé, pratique et net, il ne serait point allé peut-être à Berlin et à Vienne, où on ne l’appelait pas et où il n’avait rien à faire ; mais il se serait montré prêt à toute intervention sérieuse et utile de l’Allemagne. C’est là du reste le problème qui ne cesse de peser sur la politique germanique jusqu’au jour où elle se dessinera, bien que tardivement, dans une question qui est celle de tous et pour laquelle meurent chaque jour les soldats de l’Occident, sans que l’Allemagne soit intervenue autrement que par des protocoles inutiles, des traités controversés et des dissidences intérieures.

Ainsi, de jour en jour, les affaires générales de l’Europe se montrent sous Jieurs aspects divers. Les armées concentrées en Crimée combattent sur cette sorte de promontoire de l’Euxin, devenu le théâtre d’un choc gigantesque ; la diplomatie, là où elle peut trouver sa place encore et renouer ses fils mille fois rompus, la diplomatie s’agite en se croyant fort habile, et en n’étant qu’impuissante. En un mot, c’est une situation qui suit son cours avec ses incidens, ses perspectives, ses incertitudes, parfois ses contradictions, et cela suffit pour tenir le sentiment public attentif et inquiet. On ne doute pas du succès prochain de nos armes devant Sébastopol ; on en mesure mieux peut-être le prix et la portée réelle. S’il y a eu à l’origine des esprits peu accoutumés à considérer la gravité des choses, ou trop prompts à l’illusion, qui ont imaginé qu’une telle guerre pouvait se dénouer par une campagne heureuse, par un coup de foudre, le nombre en est considérablement réduit, pensons-nous. Ce que les plus clairvoyans ont toujours aperçu, la masse de l’opinion commence à le pressentir : c’est que nous sommes dans une crise dont la durée sera probablement proportionnée à sa gravité et aux intérêts qu’elle embrasse, comme aussi à la puissance des nations engagées dans la guerre. Et alors naturellement on en vient à se demander quelles seront les conséquences de cette lutte formidable, par quelles phases elle devra passer encore, quelle sera son influence sur l’ordre général des événemens, sur le commerce, sur l’industrie, sur toutes ces questions d’approvisionnement public et d’alimentation que l’infidélité des saisons rend parfois plus pressantes. On entrevoit les efforts nouveaux, les difficultés, les charges, les sacrifices inhé-