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rens à une guerre prolongée. Il ne faut point s’étonner de ces dispositions partout où elles existent, en France comme en Angleterre ; elles naissent du plus simple instinct de conservation et de prévoyance, et il y a moins à les combattre qu’à les éclairer et à les diriger. Quoi qu’il en soit, c’est sous l’empire de cette préoccupation unique que nous entrons dans cette saison d’hiver, où renaissent d’habitude et la vie sociale et la vie politique intérieure, — vie peu accidentée toutefois, et où il n’y aurait à noter aujourd’hui que la nomination de M. le comte de Morny à la présidence du corps législatif. Parce que tous les esprits cependant sont tournés vers un but unique, qui est devenu la grande affaire de l’Occident, parce que ce qui reste d’attention s’absorbe sans effort dans les questions matérielles, parce que dans le domaine des choses politiques rien ne remue et ne s’agite, ce ne serait point un motif de croire qu’il n’y ait aucune place, au sein de cette société française toujours si prompte à se réveiller, pour une certaine vie morale et intellectuelle qui retrouve naturellement sa puissance et son attrait. La vie intellectuelle peut avoir ses trêves, ses intermittences, ses éclipses ; elle a aussi ses momens où l’on sent que le goût des choses de l’esprit survit, et où un intérêt nouveau s’attache à un livre bien inspiré, à un discours généreux, à une manifestation élevée et pure. C’est cet intérêt qui rassemblait l’autre jour à l’Institut tout un monde illustre ou choisi, et qui faisait une sorte d’événement de la réception de Mgr l’évêque d’Orléans à l’Académie française. M. Dupanloup était le premier évêque élu depuis longtemps ; il venait, si l’on nous passe le mot et comme on l’a dit d’ailleurs, renouer l’alliance de l’épiscopat et de l’Académie. Or sa présence seule dans l’enceinte de l’Institut réveillait naturellement toute sorte de questions qui sont devenues le plus singulier aliment de polémique. Quelles sont justement les conditions de cette alliance des lettres et de l’église ? quelle part fait l’église aux lettres humaines ? comment les considère-t-elle dans leur essence, dans leur but, dans les diverses périodes de leur histoire ? Questions bien simples, peut-on dire ; elles ne sont pas si simples, puisqu’elles ont été si étrangement dénaturées, puisqu’on s’est trouvé soulagé et charmé à la fois par la parole persuasive de M. Dupanloup, venant offrir une pensée de bon sens enveloppée de grâce et d’éloquence. Il y a par malheur des esprits qui ne s’arrêtent point sur la pente d’un paradoxe ou d’une idée extrême. Le christianisme luit sur le monde, diront-ils ; il est l’essence et la loi de la civilisation. Pourquoi aller demander au paganisme son éloquence, sa poésie, sa littérature ? La raison est bien claire, c’est qu’Homère et Virgile ne sont point seulement des païens ; ils sont de grands esprits exprimant quelques-unes des vérités les plus instinctives et les plus naturelles de l’âme humaine, et par là ils ne s’adressent pas seulement à l’homme d’un temps, ils s’adressent à l’homme de tous les âges et de toutes les civilisations. M. Dupanloup n’est point heureusement de ces esprits qui entendent abolir l’antiquité comme une école de corruption. Bien loin de proscrire le génie d’Homère et de Platon, il veut recueillir, partout où il les trouve, tous ces fragmens épars de la lumière immortelle. Bien loin de rabaisser sans cesse l’intelligence et la parole humaine, il les relève et les honore comme ce qu’il y a de plus grand après la parole de Dieu. Sans manquer à son caractère et à sa mission, Mgr l’évêque d’Orléans a pu parler des lettres antiques avec le sentiment épuré, avec la douceur pé-