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louanges, et les louanges ne lui manqueront pas. Ce n’est pas en se plaçant de sa main entre Eschyle et Shakspeare qu’il rajeunira son nom. Qu’il abandonne à la postérité le soin d’un classement toujours très délicat, et prenne un peu plus de souci de ses contemporains; qu’il ne se pose plus en Galaor, qu’il invente au lieu de menacer, et nous accepterons volontiers des comédies ingénieuses, des drames énergiques en échange des grands coups d’épée dont il menace tous ses détracteurs.

Que dire de la Niaise de M. Mazères ? Le courage nous manque pour caractériser cette œuvre sans nom. J’entends dire que c’est une littérature nouvelle, qui n’avait pas encore obtenu chez nous le droit de bourgeoisie, que c’est l’inauguration au théâtre du genre administratif. Va donc pour un genre nouveau ! mais hélas! c’est un genre ennuyeux, et je crains bien qu’il ne soit pas né viable. Je n’aperçois dans cette prétendue comédie que des costumes fripés qui moisissaient depuis longtemps dans le vestiaire du théâtre, des personnages retirés depuis longtemps du service, à qui l’auteur s’est contenté d’imposer des noms nouveaux. Dans cette cohue de barons, de chevaliers, de marquis, de maréchales, de fermiers et de gardes champêtres, on ne sait à qui s’intéresser. La niaise, ainsi nommée par antiphrase, sans doute pour plaire aux professeurs de rhétorique, n’est guère plus vivante que son mari le procureur; elle dissimule si bien ses rares qualités, que les plus clairvoyans ne réussissent pas à les deviner. Et sur quoi repose toute la fable de cette comédie ? Sur une fille naturelle que l’organe du ministère public voulait cacher à sa femme, et qui finit par épouser le marquis. Qui amène le dénouement ? M. le garde des sceaux en personne, qui a fait élever la fille naturelle de son ami. Qui égaie la pièce ? Un valet qui a étudié ses devoirs dans le répertoire du Théâtre-Français, qui se dit élève de Labranche et de Frontin, dont la mère était femme de chambre chez Mlle Mars. Traiter sérieusement de telles vieilleries serait se montrer sévère jusqu’à la cruauté. Quelle forme donner à l’indulgence pour ne pas renoncer au bon sens ?

George Sand et Alexandre Dumas pourront prendre leur revanche, je l’espère du moins; quant à M. Mazères, je crains bien qu’il ne soit condamné à l’inaction; qu’il se console donc en songeant au Jeune Mari et aux Trois Quartiers. Souhaitons que l’hiver ne s’achève pas sans nous offrir une fantaisie plus vraie que Flaminio, un drame plus vivant que la Conscience, une comédie plus gaie que la Niaise. C’est le vœu de tous les bons esprits, auquel je m’associe de grand cœur.


GUSTAVE PLANCHE.


La critique qui a une tradition et qui se préoccupe de la défense de l’art plus que de la glorification des artistes, cette critique, qu’il faudrait inventer de nos jours si elle n’existait pas, est parfois incommode à la vanité des contemporains. En musique surtout, où il est si facile d’agir sur un public ignorant et de l’abreuver de cantilènes frelatées et de rhythmes grossiers, si un juge sévère intervient au milieu de cette foule de convives impatiens, et qu’il leur dise : Prenez garde, on vous trompe, on vous repaît de bruit, au lieu de vous nourrir d’harmonie et d’effets délicats ! — ce juge-là est souvent mal venu, et on le traite volontiers de trouble-fête; mais le lendemain et lorsque la nuit a porté conseil, on reconnaît, un peu tard, il est vrai, que le juge sévère était moins un esprit importun qu’un ami éclairé. Il faut que