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La route qui conduit à cette ville coupe deux lignes parallèles de ces dikes, que les Arabes appellent sour-en-nar (remparts du feu), expression aussi juste sous le point de vue descriptif que sous le point de vue géologique. Les commotions volcaniques qui les ont fait surgir du sein de la terre ont laissé bien d’autres traces encore dans le pays. La montagne sur les flancs de laquelle la ville d’El-Kef est bâtie est elle-même un ancien volcan éteint : la disposition de son sommet, que coupe la route, et des débris de coulées de lave ne permettent pas d’en douter. La tradition locale a conservé le souvenir de cette origine. Le lendemain de mon arrivée au Kef, dans une visite que je fis au cadi de cette ville, qui me parut un homme assez éclairé, je lui communiquai mes observations et la conclusion que j’en tirais pour l’existence d’un ancien volcan dans la montagne dont nous avions le sommet au-dessus de nous : il me répondit que c’était un fait incontestable et si bien établi, que la ville avait porté autrefois le nom de Chekeb-en~Nar (les crevasses de feu).

Le Djebel-Zerissa, à 50 kilomètres au sud-ouest d’El-Kef, est encore un ancien volcan, qui paraît ne s’être éteint qu’à une époque beaucoup moins reculée. Le fond de son cratère est maintenant bien uni et couvert d’un épais et frais gazon. Les coulées de lave sont nombreuses, et l’on dirait qu’elles viennent seulement d’être vomies par les entrailles de la terre. Dans la plaine des Zeralma, qui est au-dessous de la montagne, existe un tronçon de voie romaine tout pavé de cette même lave[1]. L’existence de ces volcans africains sur le prolongement de la zone de ceux de la Sicile, des Lipari, du royaume de Naples, est un fait géologique important qui méritait d’être signalé.

La ville d’El-Kef, l’antique Sicca-Veneria, est le siège d’un gouvernement considérable, qui du côté de l’ouest touche à l’Algérie. C’est par ce district que la Medjerdah, qui est le Bagrada des anciens, entre sur le territoire de la régence de Tunis, en quittant celui de l’Algérie. Ce cours d’eau est la rivière la plus considérable de la Barbarie, bien qu’il ne soit point navigable. La vallée qu’il parcourt est belle, large et extrêmement fertile ; elle le serait encore plus, si la

  1. Au nord du Kef, dans le pays des Kromir, on voit un autre volcan, le Djebet-Bétonna, qui en 1838 se remit à fumer. Des troubles survenus dans le pays des Kromir pendant que j’y étais, par suite de l’assassinat d’un corailleur de La Calle, ne me permirent pas d’arriver à cette montagne. Je devais y aller au printemps de 1848 avec le caïd du Mogody qui a la haute main, autant qu’on peut l’avoir, sur les sauvages tribus kabaïles de ce district ; mais la révolution de février, qui a dérangé tant de choses, dérangea aussi celle-là. Néanmoins je crois pouvoir garantir l’exactitude de ce que je viens de dire touchant le Djehel-Betouna. L’existence de cette montagne volcanique me fut signalée dès 1838, époque où j’étais directeur des affaires arabes à Alger, par M. le général de Mirbeck, alors chef d’escadron et commandant du cercle de La Calle, limitrophe du territoire des Kromir.