Page:Revue des Deux Mondes - 1861 - tome 32.djvu/375

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

hautaine de ceux qui croient à l’invincible destinée. Dans différentes attaques, dans plusieurs simulacres de débarquement qu’il avait dirigés lui-même, il se tenait debout au gouvernail, offrant dédaigneusement sa grande taille et sa chemise rouge aux balles de l’ennemi. Des bruits singuliers ont couru sur cette mort, et de pénibles interprétations ont été cherchées : je n’ai à m’occuper ici ni des uns, ni des autres ; seulement je puis dire que la lassitude atteignait déjà cette âme qui, dans son vol, avait touché aux aspirations les plus hautes. Certes, si le découragement est permis, c’est après tant d’efforts inutiles, tant de rêves avortés, tant d’espérances refoulées. Ce découragement fut-il pour quelque chose dans sa mort ? Je l’ignore ; mais je sais que la France a donné en lui un de ses fils les plus généreux à la cause de l’indépendance italienne, et c’est tout ce qu’il importe de savoir.

Malgré ses tendances vers l’action, de Flotte était un mystique, et, par un contraste qui n’est point rare dans le caractère français, il agissait et rêvait à la fois. Il avait répudié les doctrines de sa caste et avait marché d’un pas hardi vers ces horizons nouveaux qui semblent reculer à mesure que nous en approchons, « C’est un fou, c’est un utopiste, » disait-on ; nullement, c’était un humanitaire qui voulait le bonheur de l’humanité ; il aimait les hommes, il y croyait, et quand il voyait la somme de misère qui nous accable ici-bas, il tombait en tristesse et se disait : Comment changer tout cela ?

Du haut de la tribune de nos assemblées délibérantes[1], il fit entendre des paroles graves qui lui méritèrent le respect de ses adversaires politiques ; l’austérité de ses discours, empreints d’une certaine métaphysique religieuse, et qui toujours ramenaient les intérêts débattus à une question de principe, ne fut pas toujours comprise dans une réunion d’hommes dont les passions, surexcitées par des craintes et des espérances folles, se heurtaient avec une violence qui devait plus, tard servir de prétexte à la ruine de la liberté. Triste et sérieux malgré sa jeunesse[2], à travers la bataille des partis il jetait des avertissemens auxquels l’avenir a donné raison, mais que personne n’écoutait alors ; retournant le sens de la fameuse phrase de Chateaubriand, il a pu dire depuis : « Inutile Cassandre, j’ai assez fatigué la patrie de mes avertissemens dédaignés. Il ne me reste plus qu’à m’asseoir sur les débris d’un naufrage que j’ai tant de fois prédit. » De Flotte ne fut admis qu’avec une certaine hésitation[3] par l’assemblée législative, qui voyait en lui un insurgé de juin.

  1. Il fut élu représentant de Paris à l’assemblée législative, le 10 mars 1850, par 126,982 suffrages.
  2. Il était né le 1er février 1817.
  3. Séance du 21 mars 1850. M. Denjoy, rapporteur, conclut contre l’admission.