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REVUE MUSICALE.


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Le Tannhäuser, de M. Richard Wagner.

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Il vient de se passer sur le théâtre de l’Opéra l’événement musical le plus curieux de l’année. Le Tannhäuser de M. Richard Wagner y a été représenté le 13 mars devant un public immense et en présence du chef de l’état. Paris a pu non-seulement juger enfin avec connaissance de cause le mérite d’une œuvre qui a été fort discutée en Allemagne depuis une quinzaine d’années, mais apprécier aussi le système sur lequel s’est appuyé l’auteur pour défendre le produit de son imagination ; car on n’ignore pas que M. Richard Wagner est à la fois le poète, le compositeur et le philosophe d’une nouvelle forme de drame lyrique qui a soulevé au-delà du Rhin d’interminables débats. L’apparition du Tannhäuser sur le grand théâtre de l’Opéra de Paris aura au moins ce bon résultat de mettre fin à des controverses oiseuses.

Le sujet de la pièce est tiré d’une légende allemande du XIIIe siècle, et se rattache à une institution nationale de cette époque, à l’existence des minnesinger, ces poètes chanteurs du moyen âge qui ont précédé la première renaissance littéraire, qui date du XIVe siècle. Le fond de cette pieuse légende, qui porte bien l’empreinte de l’époque où elle a été conçue et du peuple dont elle exprime les naïves croyances, c’est la lutte, toujours persistante dans notre nature, du paganisme et du christianisme, de l’amour des sens qu’inspire Vénus et de celui qui vient de l’âme, et qui se contente de l’émotion divine que nous procure l’idéal. C’est la même question qu’ont traitée si souvent les cours d’amour et les troubadours de la langue d’oc. Tannhäuser, un beau et vaillant chanteur de la Thuringe, s’est égaré, on ne sait trop comment, dans une contrée lointaine qu’on appelle le Venusberg, c’est-à-dire la montagne de Vénus. Il est là, dans une grotte enchantée, sous le charme de la déesse des voluptés, qui l’enivre de plaisirs, comme Armide s’efforce d’endormir Renaud de ses magiques séductions. Cependant Tannhäuser soupire, et le souvenir de sa poétique jeunesse s’élève dans son cœur et empoisonne les voluptés dont on l’abreuve. Il veut partir, et Vénus ne fait pas moins d’efforts pour retenir sa conquête qu’Armide pour convaincre Renaud de rester son esclave heureux ; mais, après une lutte absolument semblable à celle qui a lieu entre Armide et Renaud, Tannhäuser s’échappe du Venusberg. Il se trouve tout à coup, on ne sait encore de quelle manière, au milieu d’une grande et belle vallée où il est reconnu par ses anciens confrères les chanteurs et par le landgrave de Thuringe. On le questionne, on lui demande d’où il vient, ce qu’il a fait, et pourquoi il a