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arrêt définitif. On aurait admis que, préférant une solution immédiate d’une aussi périlleuse question, il eût, pour l’assurer, secondé de tous ses efforts ses adversaires en se refusant absolument lui-même à y attacher son nom ; mais en présence d’antécédens si positifs et si récens, rechercher, comme a trop paru le faire sir Robert Peel, les honneurs de l’abolition, c’était briser à plaisir sa belle majorité, et courir le risque de compromettre non-seulement la confiance, mais la considération nécessaires pour l’exercice du gouvernement parlementaire. L’événement ne l’a que trop prouvé[1].

Le gouvernement parlementaire ! ce terme, emprunté à nos récentes discussions, s’est rencontré sous ma plume ; mais je m’empresse de reconnaître qu’il s’applique bien imparfaitement à l’antique monarchie britannique. L’usage a consacré, il est vrai, dans ces derniers temps, l’absence de toute action ostensible du souverain sur les affaires de l’Angleterre ; mais cette stricte abstention, conforme au désir général et actuel du pays, n’est point rigoureusement prescrite par les formes constitutionnelles. Elle dépend beaucoup des circonstances, beaucoup aussi du caractère personnel du monarque. La maxime « le roi règne et ne gouverne pas, » qui a trouvé ailleurs une faveur momentanée, n’a jamais été proclamée en Angleterre comme un article de foi politique. Toutes les formules officielles semblent au contraire la contredire : « la reine qui nous gouverne (the queen our governor) ; vaisseaux de la reine, troupes de la reine, serviteurs confidentiels de la reine, » tels sont, entre mille, les termes de la langue usuelle. J’ai même entendu dire au parlement « opposition de la reine, » tant on tient à invoquer cette autorité royale dont tout émane et tout dépend dans l’ordre exécutif, lors même que l’on combat la politique de ses conseillers.

  1. Si la passion publique raisonnait, je me serais étonné que, dans les violentes discussions soulevées à cette époque en Angleterre par les corn-laws, le côté fiscal de la question ait été tellement perdu de vue ; il méritait pourtant que l’on en tînt quelque compte. D’après le dernier exposé financier de M. Gladstone, le simple droit de balance de 1 shilling par quarter anglais, maintenu par sir Robert Peel, soit, approximativement, 40 cent, par hectolitre, a produit en 1860 plus de 21 millions de francs. D’après cette donnée, le droit d’entrée de 8 shillings, proposé par lord John Russell en 1841, eût rendu 168 millions, et le droit de 5 shillings, dont il fut question plus tard, 105 millions. Il est vrai que dans les deux cas l’impôt sur les grains eût été maintenu sérieusement et d’une manière sensible ; mais quelle influence eût pu exercer sur le prix de consommation un droit de 3 shillings par quarter, soit de 1 fr. 20 cent, par hectolitre ? Ce droit de 6 pour 100 environ, en prenant 20 fr. comme prix moyen de l’hectolitre, eût rendu pourtant au trésor britannique plus de 63 millions, et eût permis de réduire d’autant l’impôt sur les revenus, objet de tant de réclamations. Ces considérations ne sont pas sans intérêt pour la France en ce moment, et viennent fort à l’appui des sages réflexions présentées dernièrement dans la Revue par M. Léonce de Lavergne (livraison du 1er avril).