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pu leur enlever l’ascendant de fait, pas même le suffrage universel. Sous la république de 1848, sous l’empire actuel, l’esprit des classes moyennes a toujours fini par dominer dans le gouvernement. Tous les intérêts étant solidaires dans la société française telle que l’ont constituée les principes de 1789, la force qui dirige est nécessairement une résultante, c’est-à-dire une moyenne. Il devient alors inutile et même dangereux d’isoler en apparence les classes moyennes pour leur attribuer le pouvoir ; on semble indiquer par là qu’elles ont des intérêts distincts des intérêts généraux, ce qui n’est pas, et on soulève sans nécessité d’injustes défiances ; c’est sous l’empire de cette illusion que la France a été entraînée en 1848 à faire une révolution contre elle-même. Nous avons essayé quatre systèmes électoraux depuis cinquante ans, et tous quatre ont tourné contre ceux qui les avaient institués. Le premier a été cette loi de 1817, rédigée par les doctrinaires contre la droite, et qui a amené en 1820 le triomphe de la droite. Le second a été la loi de 1820, rédigée par la droite, et qui a fini par produire la chambre de 1827 et l’adresse des 221. Le troisième a été la loi de 1830 sur les électeurs à 200 fr., qui a abouti à la catastrophe de 1848. Le quatrième a été la loi du suffrage universel, instituée par la république, et qui a renversé la république. En présence de ces résultats, la question de savoir si l’électorat est un droit ou une fonction, si l’élection doit être directe ou indirecte, s’il faut un cens et quel cens, perd beaucoup de son importance. Nous avons eu, sous M. de Villèle, l’élection par les plus imposés, nous avons aujourd’hui l’élection par les moins imposés. La différence est-elle bien grande ?

En 1817, Royer-Collard était ardent ministériel comme ardent royaliste. Il défendit en cette qualité les deux lois d’exception qui furent votées alors, l’une pour suspendre la liberté individuelle, l’autre pour soumettre les journaux à la nécessité de l’autorisation préalable. À la distance où nous sommes de ce temps, nous ne pouvons juger si ces mesures étaient réellement indispensables. Le gouvernement n’avait encore que deux ans de durée, et l’inexpérience de la nation, les passions ardentes des partis, pouvaient en effet exiger quelques restrictions passagères aux grands principes que la charte venait d’inaugurer. En pareil cas, la nécessité sert d’excuse, mais seulement d’excuse, et tout ce qui dépasse la mesure exacte de la nécessité la plus évidente doit être condamné. Ce qu’il y avait de mieux à dire en faveur de la loi, c’est qu’elle devait expirer au 1er janvier 1818, et c’est sur ce caractère essentiellement transitoire qu’insista, le moins Royer-Collard. De même on ne lit pas sans quelque surprise le discours qu’il prononça à la même époque pour la défense de l’université. Rien ne ressemble moins au préambule de