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qui entravent encore le développement de leur prospérité. Elle a trouvé chez eux « un goût pour l’instruction fort rare dans l’Europe orientale, un amour sincère de la patrie, un vif désir de mériter les sympathies du monde civilisé, une foi inébranlable dans l’avenir. » En se reportant à ce qu’était la Grèce à la fin de la guerre de l’indépendance, l’on ne peut, à vrai dire, s’empêcher de reconnaître que peu de pays ont fait en si peu de temps d’aussi rapides progrès. Quand les Turcs l’évacuèrent le 1er avril 1833, Athènes n’offrait que des décombres. Ce n’était qu’une bourgade ruinée, comptant à peine quatre mille âmes. Aujourd’hui c’est une capitale avec deux mille maisons et vingt mille habitans. Le Pirée était comblé, pas une cabane ne s’élevait sur ses rives, et c’est aujourd’hui l’une des plus importantes stations des mers orientales. Sept mille bateaux portant le pavillon de tous les peuples maritimes y abordent chaque année, et le port n’est pas moins animé qu’au temps de Thémistocle. Le voyageur cherchait en vain l’emplacement où fut Sparte, et Sparte, relevée en 1840, est maintenant le chef-lieu de la nomarchie de Laconie. Patras, Argos, Missolonghi, Nauplie, sont sorties de leurs ruines. La population du royaume, qui ne s’élevait en 1834 qu’à 612,000 habitans, en compte à présent 1,200,000, et les dernières statistiques comparées ont établi ce fait curieux que de tous les pays de l’Europe, c’est la Grèce où l’accroissement de la population se fait dans la proportion la plus considérable. La marine marchande des Hellènes joue un rôle important dans les ports de la Mer-Noire et dans les échelles du Levant. En 1838, la Grèce possédait 3,260 navires ou barques de toute grandeur, jaugeant ensemble 88,500 tonneaux. Elle a maintenant 4,000 bâtimens de commerce ou de pêche mesurant 300,000 tonnes et portant 27,000 matelots. En dix-sept années, de 1845 à 1862, les revenus publics avaient augmenté de 68 pour 100. Le mouvement de la marine marchande atteste les sérieux progrès du commerce. Les exportations, qui en 1844 s’élevaient à 10 millions de drachmes (la drachme vaut environ 97 centimes), avaient atteint en 1857 le chiffre de 30 millions de drachmes. L’instruction, qui est gratuite pour l’enseignement primaire comme pour l’enseignement secondaire, s’est répandue dans une proportion étonnante. D’après une statistique de 1860, la Grèce comptait dans ses nombreuses écoles près de 60,000 élèves des deux sexes. Un peuple chez qui l’éducation est aussi populaire, le goût de la littérature aussi enraciné, qui a pour l’étude, pour le commerce, pour la navigation une aptitude si remarquable, qui jouit de tous les bienfaits et de toutes les garanties d’une organisation communale essentiellement démocratique et d’une constitution où sont inscrits tous les principes et toutes les libertés modernes, un pareil peuple tient à coup sûr une noble place dans cet Orient que la civilisation européenne semblait avoir abandonné.

Assurément il y a beaucoup d’ombres à ce tableau, et la Grèce est loin d’avoir encore justifié toutes les espérances que l’Europe a placées en elle.