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tifique[1]. Nous voudrions l’examiner ici dans son rapport avec la philosophie, et en particulier avec le problème des causes finales.

On trouvera peut-être bien hardi que la philosophie donne son avis sur une théorie qui paraît être du ressort exclusif des zoologistes ; mais reconnaissons que l’histoire naturelle, dans ses plus hautes conceptions, touche aux confins de la philosophie, et entre assez volontiers en conflit avec elle. Pourquoi la philosophie ne s’avancerait-elle pas à son tour sur un terrain qui la touche de si près ? Pourquoi n’essaierait-elle pas d’interroger des systèmes qui peuvent avoir pour elle de si graves conséquences, et de soumettre à la critique, dans la mesure de sa compétence, celles de ces doctrines qui ne sont guère jusqu’ici que de simples hypothèses et de pures possibilités ? La philosophie naturelle est encore, comme diraient les positivistes, dans sa période métaphysique, c’est-à-dire que le possible, le probable, le conjectural, s’y mêlent au réel, la pure conception à l’observation et à l’expérience. La métaphysique n’est donc pas incompétente en cette affaire, et l’analyse des idées abstraites, qui est le génie du métaphysicien, peut se marier utilement à l’esprit d’observation et d’interprétation qui est le trait distinctif du vrai savant.


I.


Avant d’examiner l’hypothèse de M. Darwin, il faut rappeler d’abord, sans y insister beaucoup, les hypothèses analogues qui ont précédé la sienne, et auxquelles lui-même fait encore une certaine part dans sa doctrine.

Plusieurs principes ou agens ont été proposés pour expliquer sans aucune cause finale les appropriations organiques. Les principaux sont l’action des milieux, l’habitude et le besoin. C’est par l’action combinée de ces agens que Lamarck explique la transformation progressive de l’animalité, qui s’est élevée, suivant lui, par un perfectionnement continu, de la forme la plus élémentaire à la plus complexe, de la monade à l’humanité : théorie redoutable que Diderot, dans l’audace féconde de son inventive imagination, semble avoir le premier rêvée, et qu’un esprit aventureux du dernier siècle, Benoît de Maillet, a développée avant Lamarck dans un livre moitié ridicule, moitié profond, le Telliamed, qui a provoqué les railleries de Voltaire et le majestueux dédain de Cuvier.

Nul doute que les conditions extérieures dans lesquelles un animal se trouve placé n’agissent sur lui et ne le modifient dans une

  1. Voyez la Revue du 1er avril 1860.