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rare, et par conséquent il y a très peu de chances que deux individus se rencontrent et s’unissent ; l’aveugle désir qui porte le mâle vers la femelle ne peut avoir une telle clairvoyance, et s’il l’avait, quel éclatant témoignage de finalité ! Et en supposant par impossible qu’une telle rencontre ait lieu une fois, comment admettre qu’elle se renouvelle à la seconde génération, puis à la troisième, à la quatrième, puis ainsi de suite ? Ce n’est qu’à cette condition d’une rencontre constante entre deux facteurs semblables que la variété se produira. Autrement, déviant à chaque nouveau couple, les modifications n’auront aucun caractère constant, et le type de l’espèce restera seul identique. On triomphe du peu de temps qu’il faut à l’industrie humaine pour obtenir une variété nouvelle, et l’on dit : Que ne peut faire la nature, qui a des siècles à sa disposition ! Il me semble qu’ici le temps ne fait rien à l’affaire. Tout le nœud est dans la multiplication de l’avantage cherché, multiplication qui exige une pensée qui choisit.

On trouve dans l’espèce humaine elle-même des exemples de variétés produites par élection ; mais cela tient à des unions constantes et suivies entre des sujets semblables. Ainsi le type israélite est bien reconnaissable et persiste, encore depuis des siècles malgré les changemens du milieu ; mais les Israélites se marient entre eux et conservent de cette façon les traits distinctifs qui les caractérisent. Supposez des mariages mixtes, supposez que, les préjugés disparaissant, les Israélites en vinssent à se marier avec les autres parties de la population : combien de temps durerait le type israélite ? Il serait bien vite absorbé et transformé. Il y a près de Potsdam, nous a dit M. de Quatrefages[1], un village particulièrement remarquable par la taille des habitans. À quoi tient cette particularité ? Elle vient, dit-on, de ce que le père de Frédéric le Grand, qui aimait les beaux hommes, choisissait les plus grandes paysannes qu’il pût rencontrer pour les marier à ses grenadiers. C’est bien là de l’élection, mais artificielle, ne l’oublions pas. C’est ainsi que Platon dans sa République, tout en prescrivant de tirer au sort les époux, conseillait cependant aux magistrats de tricher un peu et de réunir sans en avoir l’air les plus belles femmes aux plus beaux hommes afin d’obtenir de vigoureux citoyens. On voit, par tous ces exemples, que l’élection suppose toujours la rencontre d’un caractère commun dans les deux sexes : c’est ce qui ne peut avoir lieu dans la nature, ce caractère tout accidentel étant d’abord très rare, et ceux qui le posséderaient en même temps n’ayant aucune raison de se rencontrer et de se choisir.

Je sais que Darwin distingue deux sortes d’élection artificielle :

  1. Voyez la Revue du 1er avril 1861.