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meilleur parti de sa clémence. D’ordinaire ces grâces qu’on accordait ainsi en détail n’étaient pas gratuites, et on les faisait presque toujours payer aux exilés d’une partie de leur fortune. Rarement aussi elles étaient complètes du premier coup ; on leur permettait de revenir en Sicile, puis en Italie, avant de leur ouvrir tout à fait les portes de Rome. Ces degrés habilement ménagés, en multipliant le nombre des faveurs accordées par César, ne laissaient pas s’assoupir l’admiration publique. Chaque fois le chœur des flatteurs recommençait ses louanges, et l’on ne cessait pas de célébrer la générosité du vainqueur.

Il y avait donc, après Pharsale, un certain nombre d’exilés en Grèce et dans l’Asie qui attendaient avec impatience qu’on leur donnât la permission de revenir chez eux, et qui ne l’obtinrent pas tous. Les lettres de Cicéron nous, rendent le service de nous en faire connaître quelques-uns. Ce sont des gens de toute condition et de toute fortune, des négocians et des fermiers de l’impôt aussi bien que des grands seigneurs. À côté d’un Marcellus, d’un Torquatus, d’un Domitius, il y a des personnages entièrement inconnus, comme Trebianus et Toranius, ce qui prouve que la vengeance de César ne s’arrêtait pas aux chefs du parti. On y rencontre aussi trois écrivains, et, ce qui est digne de remarque, c’est que, ce sont peut-être les plus mal traités. L’un d’eux, T. Ampius, était un fougueux républicain qui ne montra pas dans l’exil autant de fermeté qu’on aurait cru. Il s’occupait à écrire une histoire des hommes illustres, et il paraît qu’il ne profitait pas assez pour son compte des beaux exemples qu’il y trouvait. Nous connaissons mieux les deux autres, qui ne se ressemblent guère : c’était l’Étrusque Cæcina, un négociant bel esprit, et le savant Nigidius Figulus. Nigidius, qu’on mettait à côté de Varron pour l’étendue de ses connaissances, et qui était, comme lui, à la fois philosophe, grammairien, astronome, physicien, rhéteur et jurisconsulte, avait surtout frappé ses contemporains par la profondeur de ses recherches théologiques. Comme on le voyait s’occuper beaucoup des doctrines des Chaldéens et des orphiques, il passait pour un grand magicien. On croyait qu’il prédisait l’avenir, et on le soupçonnait de ressusciter les morts. Tant d’occupations d’un genre si différent ne l’empêchaient pas de s’intéresser aux affaires de son pays. On ne pensait pas alors qu’un savant fût dispensé d’être un citoyen. Il brigua et obtint les dignités publiques ; il fut préteur en des temps difficiles et se fit remarquer par son énergie. Quand César entra en Italie, Nigidius, fidèle à la maxime de son maître Pythagore, qui ordonne au sage de porter secours à la loi menacée, s’empressa de quitter ses livres, et il était au premier rang des combattans de Pharsale. Cæcina