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de Chambord à Paris, avait remarqué à l’Opéra une jeune débutante, Mlle Verrières. Son vrai nom était Marie Rinteau. Elle vivait sagement avec sa mère et sa sœur, occupée de se perfectionner dans son art. On sait que chanteuses ou tragédiennes ne résistaient guère au disciple d’Adrienne Lecouvreur ; une seule, nous le verrons, refusa une place dans ce sérail, et Maurice s’en vengea d’une cruelle façon. Marie Rinteau, livrée peut-être par sa famille[1], ajouta sans peine un nom de plus à la liste déjà si longue des victoires du maréchal. Peu de temps après, elle donna le jour à une fille, qui fut baptisée, le 19 octobre 1748, à l’église Saint-Gervais et Saint-Protais de Paris, sous le nom de Marie-Aurore. Il y avait à cette époque d’étranges irrégularités dans la manière de constater l’état civil ; les registres paroissiaux du moins n’offraient pas toutes les garanties d’exactitude. L’acte de baptême de Marie-Aurore la désigne comme fille de Jean-Baptiste de La Rivière, bourgeois de Paris, et de Marie Rinteau, sa femme. Marie Rinteau n’ayant jamais été mariée, ce La Rivière, s’il a existé, ne pouvait être qu’un prête-nom. Dix-huit ans plus tard, Marie-Aurore, étant sur le point d’épouser le comte de Horn, fils naturel de Louis XV, eut le désir de faire rectifier cet acte et de reprendre le nom de son père. L’affaire fut portée devant le parlement. Le parrain et la marraine de la jeune fille, Antoine-Alexandre Colbert, marquis de Sourdis[2], et Mlle Geneviève Rinteau, n’eurent point de peine à rétablir les faits, attestés encore par d’autres témoins ; la cour, sur la plaidoirie de Me Thétion et les conclusions conformes de M. Joly de Fleury, avocat-général, décida par arrêt du 4 juin 1766 que l’acte baptistaire du 19 octobre 1748 serait rectifié en ces termes : « Marie-Aurore, fille naturelle de Maurice, comte de Saxe, maréchal-général des camps et armées de France, et de Marie Rinteau. »A partir de ce moment, Marie-Aurore s’appela Aurore de Saxe.

Est-il besoin de rappeler qu’Aurore de Saxe, mariée d’abord au comte de Horn, lieutenant du roi dans la province de Schelestadt,

  1. Le marquis d’Argenson parle d’un certain Verrières, à qui le maréchal de Saxe aurait procuré l’occasion de faire des profits illégitimes dans son gouvernement de Belgique, et il donne trop clairement à entendre quelle espèce de services le maréchal récompensait de la sorte. — Voyez Journal et Mémoires du marquis d’Argenson, édition Rathery, t. V, p. 280) Paris 1863.
  2. Un des aides-de-camp, un des amis de Maurice, cité souvent dans sa correspondance. Lorsque le comte de Clermont eut pris les châteaux de Namur au mois de septembre 1746, le maréchal, en félicitant le vainqueur, lui exprima le désir que Sourdis fût chargé de porter au roi la nouvelle de ce beau fait d’armes. C’était un honneur des plus enviés et un gage certain d’avancement. « Vous voilà comblé de gloire, monseigneur, écrivait Maurice de Saxe… Je vous envoie Sourdis, pour qui j’ai de l’amitié ; si vous pouvez l’envoyer avec les drapeaux, vous m’obligerez infiniment. » Voyez Lettres et Mémoires du maréchal de Saxe, t. III, p. 229 ; Paris 1794.