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complétaient l’illusion. Il y avait aussi très souvent la comédie et des concerts sur l’eau ou dans les appartemens.

« Le chancelier titulaire, Maupeou, me faisait également l’honneur de s’asseoir à mon chevet dès sept heures du matin sans vouloir me permettre de quitter mon lit. Nous étions logés porte à porte dans le même corridor, et en sortant de chez lui il venait s’entretenir avec moi. Il resta quatre jours à Chambord ; il y avait peu de monde, et nous promenâmes beaucoup ensemble dans le parc et les potagers. Sa conversation était pleine de traits curieux et d’anecdotes intéressantes.

« Le maréchal n’avait alors que cinquante-trois ans, et malgré les cruelles souffrances que je lui avais vu souvent endurer avec un courage héroïque, la vigueur de son tempérament le maintenait vaillant et infatigable. À le voir ainsi robuste et actif, heureux de vivre et plein de conceptions généreuses, personne n’eût pu le croire si proche de sa fin… »


Ce sont là les jours paisibles de Chambord ; il y avait des saisons plus bruyantes. Maurice lui-même, se souvenant de son ancien métier de chroniqueur, a laissé, non pas le récit, mais le programme de certaines fêtes destinées à la princesse de Sens. La lettre qui renferme ces détails, lettre conservée aux archives de Dresde, est la dernière qu’il ait écrite à son frère, l’électeur de Saxe et roi de Pologne, Frédéric-Auguste III. Il convient de la reproduire ici tout entière. On y verra autre chose qu’un document sur les réceptions de Chambord ; c’est un croquis assez vif des existences souveraines au XVIIIe siècle. Si l’auteur se peint une fois de plus dans le pêle-mêle de ses récits, il nous fait connaître en même temps les préoccupations fort diverses du roi son frère et les commissions bizarres dont un maréchal de France pouvait être chargé à Paris au nom d’un roi de Pologne. La dauphine Marie-Josèphe venait d’accoucher d’une fille ; Frédéric-Auguste III, qui attend avec impatience des nouvelles de l’accouchée, n’est pas moins impatient d’apprendre si telle et telle danseuse, envoyées par lui à Paris pour se perfectionner dans leur art, ont mis à profit les leçons de l’Opéra. Maurice doit un rapport au roi de Pologne sur ces deux événemens. Émotions de famille, renseignemens de coulisse, tout cela se mêle le plus naturellement du monde dans le message du maréchal comme dans la pensée du souverain.


« Versailles, le 5 septembre 1750.

« Sire,

« N’ayant pu avoir l’avantage d’écrire à votre majesté par le premier courrier de M. le comte de Loss, j’ai attendu le neuvième jour des couches de Mme la dauphine, terme après lequel il n’y a plus rien à craindre pour sa personne[1]. Elle a été en danger le quatrième ; mais, grâce à Dieu,

  1. L’accouchement de la dauphine avait eu lieu le 26 août 1750. La princesse à laquelle Marie-Josèphe donna le jour, et qui reçut le nom de Zéphirine, mourut tout enfant, âgée de cinq ans et six jours, le 1er septembre 1755.