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qu’il prévoit en réclamant pour le physicien les droits accordés au géomètre de s’exercer sur les créations de son esprit sans exiger que la nature les lui présente elle-même. Cette réponse excuse sa méthode sans en faire comprendre toute la portée. La vérification directe d’un principe est, il faut le remarquer, presque toujours inaccessible à l’observation comme à l’expérience. Comment vérifier par exemple que la vitesse d’un corps pesant est proportionnelle au temps de la chute ? Où prendre pour la mesurer à chaque instant cette abstraction que nous nommons vitesse, et qui n’a de réalité que dans la pensée ? Il faut nécessairement transformer le principe, et dans la longue suite de ses conséquences en trouver enfin qui soient accessibles à l’observation. Quand Galilée a montré que cette loi de vitesse posée à priori exige que les espaces parcourus soient proportionnels au carré du temps, et que la même loi doit s’étendre à la chute sur un plan incliné, il lui reste à constater qu’un trajet quatre fois plus long est accompli en un temps double, et les raisonnemens ont transformé en épreuve décisive une épreuve qui, faite a priori, n’aurait fourni au contraire qu’un fait curieux, mais sans portée. Il en est de même du mouvement parabolique : un projectile dans l’air ne laisse pas de trace, et la détermination graphique de la courbe qu’il décrit serait difficile. Galilée ne s’en préoccupe nullement : ses raisonnemens, fondés sur des principes qui lui semblent plausibles, mais qu’il sait douteux, le conduisent à trouver que la trajectoire est parabolique et révèlent en même temps les lois précises suivant lesquelles elle est parcourue. Ces lois une fois posées, il en résulte de nombreuses conséquences, parmi lesquelles on en trouve certaines dont la vérification facile sert de démonstration tout aussi rigoureuse que l’impraticable relevé direct de la trajectoire. Juger les principes par la vérification expérimentale des conséquences les plus éloignées, telle est, on le voit, la méthode constante de Galilée et le fondement solide de la science moderne.

Parmi les jeunes gens qui, admis dans son intime familiarité, aidaient aux derniers travaux de Galilée en s’efforçant de lui tenir lieu des yeux qui lui manquaient, Viviani se distingue surtout par sa vive tendresse pour l’illustre vieillard. Il se glorifia toute sa vie d’avoir été le dernier disciple d’un si grand maître, et Galilée de son côté, rendant à la fois témoignage à son aimable caractère et à la distinction de son esprit, écrivait à un ami que les soins donnés à un tel élève étaient pour lui un plaisir sans fatigue. Une intimité de quatre années donne une grande valeur aux documens qu’il a été soigneux de recueillir et qu’il nous a transmis. « Galilée, dit-il, avait l’air enjoué, surtout dans sa vieillesse ; d’une complexion naturellement très forte, il s’était affaibli par les travaux de l’esprit