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et les fatigues du corps. La jouissance du grand air lui semblait le meilleur allégement des passions de l’âme et le meilleur préservatif de la santé. Aussi, depuis son retour de Padoue, il habita presque toujours loin des bruits de Florence. La ville lui paraissait en quelque sorte la prison des esprits spéculatifs, et il regardait la campagne, au contraire, comme le livre de la nature toujours ouvert à ceux qui aiment à le lire, et à l’étudier. Aussi avait-il peu de livres, mais seulement les plus excellens. Son goût pour la solitude et le calme de la campagne ne l’empêchait pas de goûter le commerce de ses amis. Il aimait à se trouver à table avec eux et appréciait particulièrement l’excellence et la variété des vins de tous pays, dont il avait toujours une provision venant de la cave même du grand-duc. C’était lui-même qui taillait et liait les vignes avec un soin et une adresse plus qu’ordinaires ; il se plaisait à l’agriculture et y voyait à la fois un passe-temps et une occasion de philosopher sur la végétation et la nutrition des plantes et les autres merveilles de la création. Ennemi de l’avarice, il dépensait largement pour faire des expériences, soulager des malheureux, recevoir et honorer les étrangers, et venir en aide à ceux qui excellaient dans un art ou une profession quelconque. Il les gardait dans sa propre maison jusqu’à ce qu’il eût assuré leur existence. J’y ai vu un grand nombre de jeunes gens, Allemands, Flamands et autres, sculpteurs, peintres, mathématiciens. » Je n’ajouterai qu’un mot à ce portrait si nettement tracé : lorsque Viviani a connu Galilée, l’illustre vieillard, accablé de douleurs et d’infirmités, avait conservé la sérénité de son esprit et l’affabilité de ses manières. Un caractère est bien fortement trempé lorsqu’il reste aimable et charmant malgré tant de motifs de tristesse et d’impatience.

En étudiant la vie et le caractère d’un grand homme du passé, j’ai quelquefois aperçu parmi nos contemporains quelque figure qui se rapprochait de la sienne, et lorsqu’une étude attentive, en multipliant les analogies, vient confirmer cette première vue en l’absence de documens complets et précis, il semble permis de l’accepter comme le guide le moins incertain que l’on puisse suivre pour compléter le portrait. C’est ainsi que, malgré la différence des sujets d’étude, la physionomie de Kepler se rapproche pour moi de celle de l’illustre physicien anglais Faraday ; mais, pour trouver une ressemblance à Galilée, j’ai besoin de me représenter Ampère gardant toute la profondeur et toute la solidité de son génie, et doué par surabondance de l’esprit lucide et brillant d’Arago.

J. Bertrand.