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sionomie générale de ces contrées, le caractère des habitans, les diverses productions du territoire, fera comprendre les bienfaits multipliés que devra la Grèce à ce tracé[1]

Lorsque, après avoir traversé la plaine marécageuse de Missolonghi et les pentes du mont Aracynthe, je vis se dérouler devant moi, il y a quelques années, le panorama des montagnes majestueuses de l’Etolie et de l’Acarnanie, je fus saisi d’étonnement et d’admiration : partout une fraîche verdure, de superbes forêts échelonnées les unes au-dessus des autres, des pâturages, des lacs, des rivières. Au sortir des ravins abrupts du Péloponèse, de ses vallons arides, de ses campagnes torréfiées par un soleil ardent, de ses paysages taillés dans le roc, éclatans de couleur et de lumière, il me semblait, en entrant dans cette nouvelle région de la Grèce, que je devenais le jouet d’un rêve, tant la nature s’y montre sous un aspect inattendu. Sur le seuil des forêts imposantes de la Haute-Acarnanie, je cédais à une sorte de religieuse émotion, telle que les anciens l’éprouvaient lorsqu’ils se rendaient en pèlerinage au mystérieux bois de Dodone. La population de ce pays est douée, elle aussi, d’une physionomie particulière ; elle est à demi sauvage, de haute taille, de formes athlétiques, d’une beauté pleine de noblesse et de régularité, mais empreinte d’une dureté farouche. Elle possède tous les traits et tout le caractère d’une race primitive, et l’on s’accorde en effet à dire que les élémens de l’antique race hellénique se sont conservés chez elle, comme chez les Maïnotes, plus purs que chez la plupart des autres populations de la Grèce. Pendant tout le temps de la domination turque, elle est restée en état de guerre ; aujourd’hui elle vit de brigandage. Sous ce rapport, les forêts de l’Acarnanie et les roches escarpées du Magne offrent entre elles une singulière analogie. Il semble que l’indépendance nationale et la barbarie se soient réfugiées ensemble à ces deux extrémités de la Grèce, pour y lutter, dans d’inexpugnables asiles, l’une contre les envahissemens de la conquête,

  1. En Italie comme on Grèce, on a compris l’importance de cette voie nouvelle, et chacun appelle avec impatience le moment où une connexion féconde pourra s’établir entre les chemins de fer grecs et ceux du sud de la péninsule italique. C’est ce que prouve une lettre de Florence rendue publique (elle a paru dans le Moniteur du 1er juin), et dont nous citerons le passage suivant : « Bien que le trajet entre Bari et Brindisi ne soit pas très considérable, 120 kilomètres environ, l’importance que l’on apporte à cet embranchement est aisée à concevoir. Brindisi fut une des principales stations navales de Rome ; c’est là qu’aboutissait la voie Appienne ; c’est par là que les héritiers de Romulus allèrent recueillir la tradition de Périclès ; c’est par là que Frédéric II de Souabe, le souverain artiste et le croisé sceptique, embarqua sa fortune, alors qu’il allait réclamer la sainte couronne des Luzignan. Ce port, aujourd’hui ruiné, peut être rétabli, et cette entreprise sera le complément nécessaire de la grande voie ferrée qui, dans quelques jours, va s’étendre sur toute la longueur de la péninsule et doit être, dans un prochain avenir, le grand chemin de l’Orient. ».