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des Grecs qu’il recouvrait des fables des barbares. Platon était son auteur favori ; il lisait assidûment les écrits de Numène, de Longin et des plus habiles pythagoriciens ; les stoïciens aussi, Cornutus surtout, étaient ses maîtres. Ayant appris par cette étude la manière d’expliquer et d’entendre les mystères des Grecs, il l’a appliquée aux écritures judaïques. » Ceci est une récrimination païenne ; mais on ne peut disconvenir qu’en lavant le christianisme des imputations d’ignorance sur lesquelles vivaient ses ennemis, en appelant les chrétiens eux-mêmes à l’étude des brillans systèmes qui passaient alors pour la vérité philosophique, en imprimant enfin à l’exégèse chrétienne l’élan sublime qui a produit après lui les Grégoire de Nazianze, les Basile, les Chrysostome et Jérôme lui-même, au moins en partie, Origène n’ait rendu un immense service à cette religion qu’il avait si intrépidement confessée. Il était d’ailleurs d’une parfaite bonne foi, reconnaissant ses erreurs quand on les lui montrait, et faisant amende honorable d’avance pour celles qui ne lui étaient point signalées. S’il pécha par trop de science, il le fit en illuminant bien des vérités. Un des conciles qui l’excommunia de son vivant disait de lui dans un amer mais magnifique langage : « Comme Satan, dont il est fils, Origène est tombé du ciel dans un éclair. »

Après sa mort, la division créée par ses écrits se perpétua : il eut des adversaires, il eut des admirateurs éclectiques qui distinguèrent en lui le mal du bien ; il en eut d’absolus qui adoptèrent tout sur la parole du maître. Rentré en esprit, comme un triomphateur, dans cette patrie qui l’avait chassé, l’ancien excommunié redevint le roi de son école. J’ai dit[1], à propos de Didyme l’aveugle, quel culte presque idolâtrique y entourait sa mémoire. Lorsque des hommes tels que Didyme, imbus de ses doctrines, mais éclairés par les décisions récentes de l’église, expliquaient les livres du grand docteur, ils se gardaient eux-mêmes des opinions aventureuses et en garantissaient soigneusement les autres. Toutefois, avec moins de clairvoyance, on pouvait se laisser égarer, et il sortit des subtilités extrêmes de l’origénisme plus d’une hérésie immorale ou antichrétienne. D’ailleurs le fils du martyr Léonide avait été le plus fécond des écrivains, ecclésiastiques ou profanes. « Notre Varron n’est rien à côté de lui, disait Jérôme ; il a plus écrit qu’un homme ne peut lire dans toute sa vie. » Quelle difficulté alors de faire un choix parmi tant de livres, de tenir le fil de l’orthodoxie à travers ce dédale confus d’opinions ! Ce goût exagéré du symbole qui respire dans les écrits d’Origène charmait l’imagination vive des Orientaux ; mais l’idole de l’Orient ne trouvait en Occident qu’une médiocre estime. Rome l’avait condamnée autrefois. Église pratique

  1. Revue du 1er mai.