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comme un vaste système de pierres en mouvement ? Voilà évidemment quatre points de vue fort divers, et dont aucun ne peut satisfaire l’esprit qui les considère chacun à part ; il n’en sera pas de même si l’esprit s’y place successivement, s’attache à éclairer l’un par l’autre et à combiner ensemble les sciences de l’âme, du monde et de Dieu, et même la tradition évangélique. Cette pensée, développée par Jean Reynaud, a inspiré les travaux et déterminé le caractère d’une école dont il peut être considéré comme le fondateur, et qui a constamment cherché à édifier un système sur la réunion de ces deux idées, — l’immortalité de l’âme et la pluralité des mondes.

Jean Reynaud a été un des hommes distingués de notre temps. Esprit élevé et ferme en même temps qu’ingénieux et subtil, il unissait la force de tête nécessaire au mathématicien avec cette vivacité d’imagination qui rend aisément systématique. Il était réfléchi et hasardeux, exact et téméraire, et, comme plus d’un géomètre, son goût pour la démonstration ne le préservait pas des chimères. Ses qualités pouvaient en faire un inventeur, mais ne garantissaient pas la solidité de ses théories ni la vérité de ses découvertes. L’ouvrage où il a exposé ses vues, Ciel et Terre, répond à ce qu’on devait espérer comme à ce qu’on pouvait craindre de son tour d’esprit, de ce genre périlleux de supériorité qui peut s’élever aux grandes vérités comme aux grands paradoxes et qui ne craint pas d’aventurer la raison dans les nuages de l’hypothèse. Ce n’en est pas moins un livre grave et qui impose à ceux mêmes qu’il ne persuade pas. Quoique la lecture en soit difficile, car la manière mâle et simple de l’écrivain réclame toujours l’attention et ne la délasse jamais, l’ouvrage a eu plus de succès qu’on ne pouvait l’augurer du genre sérieux auquel il appartient, et ceux qui croient connaître notre temps parce qu’ils en disent grand mal ne se seraient jamais doutés que de hautes idées hasardées sous une forme austère pussent trouver autant d’accès dans la pensée contemporaine. Ce n’a pas été, ce ne sera jamais le livre de la foule ; mais nous savons des esprits qui, sans se donner pour méditatifs, sont sérieux et sincères, simples et vrais, et qu’il a touchés profondément en leur ouvrant des perspectives sur l’inconnu.

Cet ouvrage a donné le signal, et plus d’un écrivain s’est élancé dans la même voie. Ceux qui voudront apprécier définitivement leurs travaux feront bien de revenir au livre qui en a été comme le point de départ. L’analyse n’en est pas nécessaire cependant pour parler de l’influence qu’il a exercée[1]. Rappelons seulement quelques idées

  1. Voyez la Revue du 1er août 1855.