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« Kwei-liang et ses collègues doivent aujourd’hui être à Pékin, et il me semble que votre excellence gagnerait du temps en se rendant promptement à Tien-tsin pour y échanger son traité. Je n’ai point encore jusqu’ici eu l’occasion de correspondre personnellement avec le ministre anglais, M. Bruce, et je craindrais de m’écarter des règles en m’adressant directement à lui dans les circonstances présentes. Je viens donc prier votre excellence de se charger de mes meilleurs complimens pour lui, de le calmer, et de lui persuader que, s’il voulait bien vous accompagner dans le nord, il y recevrait un accueil empressé de la part de Kwei-liang et de ses collègues, qui le verraient à Peh-tang en exécution de ses engagemens. Ainsi serait rétablie la bonne harmonie entre les Chinois et les étrangers… »

M. de Bourboulon répondit que les ministres anglais et français ne pouvaient se prêter à aucune discussion concernant le voyage à Pékin avant d’avoir reçu de nouvelles instructions de leurs gouvernemens. Aussitôt, prenant texte de quelques paroles courtoises qui se trouvaient dans cette réponse, le gouverneur-général écrivit directement le 1er août à M. Bruce pour lui demander le jour où il comptait partir pour Pékin, ainsi que M. de Bourboulon, afin d’y échanger les traités, comme venait de le faire M. Ward pour le traité américain. Le ministre anglais lui opposa une objection de procédure : il déclina la compétence du gouverneur-général, qui, chargé seulement des intérêts du commerce, n’avait point qualité pour s’occuper des difficultés pendantes entre les puissances alliées et le cabinet chinois. — Tandis que ces correspondances s’échangeaient à Shang-haï, les consuls établis à Canton remarquaient les dispositions pacifiques et bienveillantes que les autorités chinoises manifestaient à l’égard des étrangers. On y publiait avec profusion un édit impérial recommandant au gouverneur-général de traiter les Anglais et les Français avec douceur, d’éviter soigneusement tout conflit et de préparer les voies au retour des relations amicales. En un mot, à Canton comme à Shang-haï, c’était la politique conciliante qui paraissait triompher. A l’exaltation qui avait suivi la victoire succédait peu à peu un sentiment de préoccupation et d’inquiétude sur les conséquences que pourrait entraîner la reprise des hostilités. Le cabinet de Pékin eût sans doute éprouvé une vive satisfaction, si les ministres alliés avaient accueilli les avances directes et indirectes qu’il leur prodiguait par ses édits et par les correspondances des mandarins. Sans doute il espérait que MM. Bruce et de Bourboulon s’inspireraient de l’exemple de M. Ward et qu’ils s’estimeraient heureux de pouvoir échanger leurs traités en ne considérant l’affaire de Takou que comme un incident fâcheux, comme une méprise qui ne méritait pas de donner lieu à une nouvelle guerre.