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états secondaires allemands, qui recommençait, et l’insurrection polonaise, qui continuait de donner des signes de vie, — faibles roseaux pourtant, que le souffle de M. de Bismark devait complètement briser et déraciner encore avant le printemps. L’importance qu’on attachait alors à Paris aux menées et aux velléités de la Bavière, de la Saxe ou du Wurtemberg, a vraiment de quoi étonner. Il est permis à la diplomatie française de badiner autour de la « troisième Allemagne » dans ses heures de loisir, et il y eut même un moment, — lors de la journée des princes à Francfort -, dans l’été de 1863[1], — où on aurait du en tenir plus de compte et ne pas trop s’effaroucher d’un mouvement qui tendait à rendre incurable l’antagonisme entre les Habsbourg et les Hohenzollern. Dans les temps difficiles toutefois, comme le furent les trois ou quatre premiers mois de l’année 1864, à un moment où l’on voyait se remuer de grands corps comme l’Autriche, la Prusse et la Russie, n’était-ce pas un vain amusement que de chercher dans les fractions mobiles du fédéralisme germanique les élémens d’une force et d’une situation nouvelles ? La vertu qui, dans le commerce régulier et ordinaire de la vie, consiste à ne pas dédaigner les petits postes ne touche-t-elle pas à la puérilité, si elle s’obstine à s’exercer à une époque de grande crise, où toute la fortune est en jeu et où l’on ne doit plus opérer qu’avec des sommes fortes et rondes ? — Quant à l’insurrection polonaise, comment ne voyait-on pas que son arrêt avait été déjà prononcé depuis longtemps, qu’à la rigueur il fut même prononcé dès le mois de mars 1863, lors de l’avortement de la mission du prince Metternich, et bien définitivement, dans tous les cas, au mois de novembre de la même année, à la suite de la proposition du congrès ? Le jour où il devint manifeste que l’Autriche ne se laisserait ni entraîner ni engager dans une action en faveur de la Pologne, il n’y avait plus rien à faire de ce côté ; il y avait de la sagesse à se le dire à soi-même, de la charité à le dire aux autres, à le dire hautement, péremptoirement, et à ne pas laisser se prolonger une situation qui, sur les bords de la Vistule et de la Wilia, se traduisait chaque jour en massacres, en supplices, et dans l’extermination systématique de toute une race !…

C’est ainsi qu’en voulant « se réserver toute liberté d’action » on perdit toute liberté d’allures, et, placé entre la Prusse et le Danemark, on rappelait quelque peu le don Juan de Mozart dans la fameuse scène avec doña Anna et doña Elvire. On protestait devant chacune de ces nobles dames de ses sentimens dévoués ; on confiait

  1. Voyez la troisième partie de cette étude : M. de Bismark et l’alliance du Nord (Revue du 1er janvier 1865).