Page:Revue des Deux Mondes - 1867 - tome 67.djvu/563

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

toujours eu pour but de réunir en faisceau un certain nombre de personnes de tout âge, de tout sexe, de tout état, de cumuler les intérêts des versemens effectués par elles pour constituer au profit des survivans soit un capital plus grand que le capital versé, soit une rente viagère considérable. C’est en particulier pour constituer des rentes ; que les tontines s’établirent en France ; l’objet principal fut d’abord d’aider à l’émission des emprunts royaux. Louis XV en créa neuf. Supprimées, ainsi que deux tontines particulières, en 1770, elles avaient déjà révélé les embarras financiers de tout gouvernement en quête de semblables ressources, et produit des effets désastreux sur les mœurs publiques. Les troubles de la place Cambray, où la foule assaillait la boutique de la veuve Thibaut, imprimeur du roi, pour acheter les bulletins des cours des actions tontinières, égalèrent un moment les désordres de la rue Quincampoix. Avec les difficultés financières, les tontines reparurent ; le dernier emprunt en rentes viagères fut émis par Necker, et donna lieu à la spéculation dite des Petites Genevoises. Des spéculateurs habiles avaient choisi à Genève, dans des familles aisées où la longévité était notoire, cent petites filles vigoureusement constituées sur la tête desquelles ils souscrivirent des rentes viagères. Nombre d’entre elles devinrent plus qu’octogénaires. Quant aux tontines privées, la plus connue se constitua le 1er avril 1791. La caisse Lafarge recueillait des mises de 90 fr. qui, réunies et placées en rentes sur l’état, produisaient, avec l’accumulation des intérêts, des rentes viagères de 45 fr., attribuées d’abord par la voie du sort à quelques actionnaires ; à leur mort, ces rentes accumulées pouvaient, grâce aux extinctions, produire jusqu’au chiffre de 3,000 fr. de rente pour une action primitive. Au-delà, les extinctions profitaient à l’état. La caisse Lafarge a traversé sans y périr nos tourmentes révolutionnaires : quelques rares survivans en touchent même peut-être encore les dernières annuités ; mais, sauf ce cas unique, toute autre société tontinière disparut en France jusqu’en 1835. À cette époque, la vogue se porta de nouveau sur ce système, qui, après le premier engouement, avait été abandonné pour celui des assurances à primes fixes, dont l’Angleterre particulièrement nous avait fourni le modèle.

C’était aussi par une sorte d’association mutuelle comme nos tontines que l’Angleterre avait débuté dans la création des sociétés d’assurances ; mais au lieu de faire comme nous profiter les étrangers survivans du décès d’un co-associé, l’Amicable Society, fondée en 1706 et le plus ancien établissement de ce genre, constituait une bourse commune au profit des héritiers des décèdes. Le nombre des partenaires était fixé à 2,000, de onze à quarante-six ans, dans les conditions les plus diverses d’âge, de santé, de sexe,