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II. — PREUVES DE L’ANCIENNE EXTENSION DES GLACIERS ALPINS.

On possède maintenant les élémens des connaissances nécessaires pour affirmer l’ancienne présence des glaciers lorsque les traces qu’ils ont laissées après eux sont nombreuses et variées. Dans les grandes chaînes de montagnes où ils existent encore, on retrouve partout, même autour et au-dessus d’eux, les tracés de leur ancienne extension. Un observateur qui de la mer de glace de Chamonix ou du glacier de l’Aar regarde les roches de la vallée polies et striées par l’action de la glace ne tarde pas à reconnaître que ces roches polies s’élèvent très haut sur les parois de la vallée, souvent à plusieurs centaines de mètres au-dessus de sa tête[1]. Il en conclut logiquement que le glacier était jadis plus épais, plus puissant qu’il ne l’est aujourd’hui ; mais, s’il était plus épais, il devait s’étendre plus loin et sortir des limites entre lesquelles il oscille depuis les temps historiques. Les preuves de cette ancienne extension sont de la dernière évidence. Au lieu de s’arrêter au point où finit le glacier actuel, les moraines latérales se prolongent souvent fort au-delà. Près de Chamonix, c’est un prolongement de la moraine latérale droite du glacier des Bois actuellement couvert de forêts qui porte le village de Lavangi et l’énorme bloc erratique connu sous le nom de Pierre-de-Lisboli. Du haut de cette moraine latérale, on reconnaissait jadis dans la vallée une ancienne moraine terminale à la place même où se trouve le village de Chamonix, mais des constructions récentes ont fait disparaître les ondulations du terrain. Plus loin, au hameau de Mont-Cuar, j’ai signalé une seconde moraine frontale couverte de blocs erratiques dont le plus gros, appelé Pierre-Belle, a 24m,7 de longueur, 9 mètres de large et 12 de haut. Encore plus loin, en face du hameau des Ouches, trois monticules de schiste serpentineux, arrondis, polis et striés, recouverts de gros blocs erratiques de protogine, espèce de granite caractéristique du Mont-Blanc, montrent que le glacier s’étendait jusque-là, et la limite supérieure des roches polies et des blocs erratiques prouve que son épaisseur était de 720 mètres environ. Je ne poursuivrai pas plus loin les traces que l’ancien glacier qui suivent le cours de l’Arve a laissées sur son passage : il a fait l’objet principal d’un article que j’ai publié, il y a vingt ans, dans la Revue[2].

Si j’ai rappelé ces faits, c’est seulement parce que la vallée de Chamonix est probablement la mieux connue du plus grand nombre

  1. A 310 mètres au-dessus de la partie supérieure du glacier de l’Aar, Voyez la planche A des Nouvelles études sur les Glaciers de M. Agassiz.
  2. 1er mars 1847.