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n’en sera, dit-on, que plus périlleuse. Voyez à quels désordres elle a déjà ouvert la porte ! On interroge la statistique criminelle, et elle nous apprend que du 25 mai 1864 au 1er janvier 1866, c’est-à-dire dans l’espace de dix-huit mois, les tribunaux correctionnels ont eu à juger 96 délits d’atteinte à la liberté du travail ; sur 209 prévenus, 36 ont été acquittés, 147 condamnés à moins d’un an d’emprisonnement et 26 à l’amende seulement. Des 173 condamnés, il n’en est que 36 ou 1/5e qui aient obtenu le bénéfice des circonstances atténuantes. Indépendamment des délits jugés, 166 procédures ont été classées au parquet comme ne pouvant donner lieu à aucune poursuite, l’instruction ayant démontré, ou que les faits n’avaient pas assez de gravité, ou que les élémens de preuve n’étaient pas suffisans. Ces chiffres ne permettent donc pas de contester que l’exercice du droit de coalition, même alors qu’il pouvait être jusqu’à un certain point gêné et contenu par l’autorité administrative, a été très souvent accompagné de faits répréhensibles, mais franchement faut-il s’en étonner ? faut-il surtout s’en alarmer ? Quel est le droit ancien, le plus clair et le mieux éprouvé, dont l’exercice ne donne lieu à de nombreux et regrettables abus ? Ici le droit, longtemps méconnu et étouffé, faisait en quelque sorte explosion ; la loi qui venait de le consacrer n’était pas encore universellement comprise, car il faut un certain temps pour que l’esprit d’une loi nouvelle, appelée à régir d’innombrables intérêts, pénètre dans l’intelligence des masses. Les ouvriers ne sont pas généralement des jurisconsultes, et même le malheur est qu’il y en a encore beaucoup d’illettrés. Qu’un certain nombre, en apprenant qu’à l’avenir les coalitions étaient permises, se soient imaginé que la permission s’étendait à toutes les pratiques bonnes ou mauvaises des anciennes grèves, il n’y aurait pas là de quoi s’effaroucher. On devait s’y attendre, et en étudiant les affaires qui ont été jugées, il est facile de se convaincre que plusieurs délinquans étaient égarés par cette erreur ; mais à mesure que les dispositions nouvelles seront plus connues, on les observera mieux. Ce sera là le naturel et infaillible effet de ces premiers égaremens qu’on impute sans réflexion à la loi même qui les réprime. En voulant protéger la liberté collective des ouvriers et des patrons, c’est-à-dire en effaçant du nombre des délits « l’entente pacifique dans un intérêt commun, » le législateur de 1864 n’a point renoncé à la protection qui est due à la liberté individuelle et aux droits respectifs de chacun. il punit sévèrement toute menace, toute violence, toute manœuvre frauduleuse, toute atteinte à la liberté du travail. L’ordre public n’est donc pas désarmé, et cette statistique criminelle dont on s’effraie ne justifie pas les appréhensions qu’elle a fait naître.